Comment rendre vie au passé
Par Robert Colonna d'Istria
Roman. Mark Greene se rappelle Madrid d'il y a cinquante ans. Monde pas si lointain et déjà rejeté dans un ailleurs qu'on peine à retrouver. Ce joli petit livre aide à ne pas tout oublier.
« Je suis né à Madrid dans les années soixante. Franco était encore au pouvoir et, de temps en temps, son cortège passait devant mes ma fenêtre. Parfois, ma mère et moi nous descendions pour voir
de plus près. » Ces quelques mots donnent la tonalité de ce charmant ouvrage, Réel Madrid, livre de souvenirs qui rend vie à un monde disparu, celui de l'Espagne des années soixante
et soixante-dix. [...] Un joli petit texte agréablement écrit, pour ne pas oublier : derrière les réalités de ce Madrid revécu, chacun, madrilène ou pas, retrouvera sa propre existence.
Réel Madrid
Par Jean-Philippe Blondel
Né en 1963 d’un père photographe américain et d’une française installée à Madrid, l’auteur évoque dans ce récit ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, et balaie les deux décennies qui ont amené l’Espagne à se réinventer de fond en comble, passant du franquisme à la Movida, de décennies poussiéreuses au clinquant des années 1980.
[...] Comme l’auteur habitait avec ses parents un quartier réservé aux étrangers et aux artistes (car on a tendance à oublier que de nombreuses stars américaines, par exemple, possédaient des demeures en Espagne et s’accommodaient fort bien de la dictature), qu’on surnommait Costa Fleming, on découvre avec étonnement que la rigidité politique pouvait se conjuguer avec une dolce vita assumée.Peuplé de fantômes, comme l’écrivain Umbral, ou le liftier de la Casa del Libro, de clichés sépia de défilés de chars et d’avenues désertes, le texte de Mark Greene dégage un charme certain et sait faire revivre des périodes qui nous semblent maintenant bien lointaines. Le style est sobre et sensible, et l’on suit cette recherche du temps perdu avec beaucoup d’attachement et de bonheur. Hautement recommandable.
Par Marie-Rose Guarniéri
Coup de coeur pour Réel Madrid, à partir de 7 minutes. "Il y a une grâce dans ce livre, du rire, la lumière de l'Espagne, la nostalgie."
Par Bernard Leconte et Dominique Guiou
C'était il y a 50 ans à Madrid
Par Marie-Anne Georges
De Franco à la Movida, l’écrivain franco-américain Mark Greene épingle quelques souvenirs d’enfance. Savoureux.
Toutes les enfances ne se ressemblent pas, même si elles peuvent avoir une saveur commune. Celle de Mark Greene, né à Madrid en 1963, a commencé sous Franco pour se terminer avec la Movida. Un fameux grand écart ! Que l’écrivain franco-américain raconte dans Réel Madrid d’une plume limpide, douce et précise.
Tout commence alors qu’il a 8-9 ans. Des chars entament leur descente de l’Avenida Generalísimo, qui sera rebaptisée, le moment venu, Paseo de la Castellana. [...]
Le titre, Réel Madrid, est un jeu de mots avec le Real Madrid, club de foot dont le stade Santiago Bernabéu se situe à une encablure d’où Mark Greene a grandi. Ce dernier ne se privera d’ailleurs pas, quelques chapitres plus loin, d’exprimer son exaspération voire son écœurement du mercato, "tout est devenu boursouflure, excès". C’est ce qui fait tout l’intérêt de ce beau récit : l’auteur ne se contente pas de ses souvenirs de jeunesse, il les commente. Découpé en dix-huit chapitres, Réel Madrid compose une radiographie circonstanciée d’une Espagne qui, "après des décennies d’autoritarisme et d’anachronisme, s’apprête à rejoindre le concert des nations occidentales, développées [...]"
Regards et déplacements – sur Réel Madrid de Mark Greene
Par Virginie Bloch-Lainé
Par Stéphane Ehles
Par Bernard Quiriny
et d’Andy Warhol, le pronunciamento raté de 1981, etc. Cette collection de récits donne un petit livre nostalgique, élégant, qui tient à la fois du portrait d’une ville et du tableau historique. En filigrane, c’est aussi l’évocation d’un homme, son père, dandy solaire à l’accent hollywoodien, qui traînait ses raquettes et sa caméra dans ce monde où tout paraissait facile.
Par Sophie Joubert
Dans un récit en forme de puzzle, l’écrivain raconte sa jeunesse en Espagne au temps de la dictature du Caudillo, jusqu’à son départ pour la France.
En dépit de ce que peut laisser entrevoir son nom, Mark Greene a grandi en Espagne. Fils unique d’un journaliste américain et d’une Française installée à Madrid, il est né en 1963 sous le régime franquiste. Romancier et auteur de récits sensibles, il a, en 2017, raconté l’histoire vraie de Justo Gallego Martinez, bâtisseur solitaire d’une cathédrale de guingois. Après un détour par Paris et la fiction dans Federica Ber (2018), où une histoire d’amour ancienne resurgissait à la faveur d’un fait divers, il revient en Espagne avec Réel Madrid, collage de fragments autobiographiques. Tout commence par une image, ancrée à jamais dans sa mémoire. Alors qu’il a 9 ans, il voit passer la voiture du dictateur dans l’Avenida del Generalisimo, l’avenue qui porte son nom. L’enfance s’achèvera en 1981, l’année de ses 17 ans, le jour du putsch manqué contre le gouvernement d’Adolfo Suarez. « Elle faisait son grand retour. La nuit ancienne la nuit franquiste, peuplée de crimes et de rires, d’éclats de verre et d’échos lointains », se souvient Mark Greene. [...] Il y a bien sûr le mythique Real Madrid et le stade proche du domicile familial, la découverte des livres et le désir d’écrire, qu’il assouvira de l’autre côté des Pyrénées. Sans jamais oublier l’Espagne et la nuit noire de son enfance.
Par Marc Bassets
El autor evoca en ‘Réel Madrid’ la ciudad donde nació y creció y la paradoja de sus barrios cosmopolitas en medio de la grisura del franquismo.
El título del nuevo libro del escritor francés Mark Greene (Madrid, 60 años) es un juego de palabras con el nombre del club de fútbol de la ciudad donde nació y cerca de cuyo estadio creció. Réel Madrid, publicado por la editorial Plein Jour, podría traducirse como Real Madrid, o, mejor, Madrid real. Es una busca del tiempo perdido: el de la infancia del autor, hijo de un estadounidense y una francesa, en un barrio luminoso de la gris capital franquista de los años 60 y 70. En una conversación en castellano en el café Le Select en el parisino y literario boulevard Montparnasse, Greene evoca aquel pasado: sus paradojas y ambigüedades.
[...]
Une enfance en Espagne
Par Christian Authier
Remarquable romancier, Mark Greene est peut-être encore plus éblouissant quand il emprunte le registre du récit. Après Comment construire une cathédrale, en voici la preuve avec Réel Madrid, souvenirs de son enfance et de sa jeunesse dans la capitale espagnole durant les années 1960 et 1970. De père américain et de mère française, il grandit non loin du stade du Real Madrid, au sein d'un quartier prisé par des artistes et des étrangers (d'Ava Gardner à Clint Eastwood). [...]
Si Mark Greene a un regard perçant pour saisir les moments de bascule historique, il est d'abord un écrivain sensible au temps, aux ombres, au passé « rehaussé de couleurs vives
». Le portrait émouvant de ses parents en atteste.
En ressuscitant les charmes, les complexités, les paradoxes du Madrid ainsi
que de l'Espagne de ses jeunes années, c'est un monde à la fois très loin et très
proche qu'il peint, un monde d'avant « l'arrivée des portables et des PC », « le
jeu de rôle d'Instagram et de Facebook », « la marchandisation des ego ». Par son faux détachement, sa finesse, sa douce ironie, Réel Madrid nous rappelle que la littérature est
affaire de style.
Par Christian Dorsan
Pourquoi ce livre ? Parce que l’évocation de l’enfance est toujours un voyage qui mélange les émotions et les joies de la (re) découverte. Emotions pour l’auteur qui nous embarque dans l’Espagne de Franco des années 1960 jusqu’aux années 1980. Un pays fermé, opaque, mais ouvert à la venue des étrangers, une Espagne qui tarde à entrer dans l’après-guerre, prémisse de la Movida et des changements de société.
Par Stéphane Bugat
« Réel Madrid ». Avec ce récit touchant, nourri par ses souvenirs, Mark Greene livre une ode à l’Espagne et à sa capitale.
Mark Greene se sent espagnol. Né d’un père américain et d’une mère française, vivant le plus clair de son temps à Paris - si l’on a bien compris - où il a longtemps exercé la profession de journaliste, lorsqu’il s’écarte provisoirement de son abondante production romanesque pour évoquer quelques souvenirs, c’est vers Madrid qu’ils le ramènent. Ce qui se comprend aisément. C’est là qu’il a vécu les premières années de son existence, ce qui en a fait, sans qu’il en ait alors forcément conscience, un observateur attentif et lucide du passage d’une dictature, celle de Franco, à une véritable renaissance démocratique. Une renaissance qui, bien évidemment, a concerné les pratiques politiques et, plus tard, le dynamisme économique, alors favorisé par l’intégration à l’Europe, mais aussi et même surtout l’évolution des mœurs.
[...] À cet égard, on retient particulièrement celui de son père. Jeune GI venu sauver l’Europe, il ne s’était pas résolu à retourner immédiatement au pays, une fois la Seconde Guerre mondiale terminée. Ce qui lui a donné l’occasion d’exercer l’activité de reporter-cameraman, en Espagne. Où il a rencontré la jeune touriste française qui devint son épouse. Ainsi que bien d’autres personnages qu’il abordait avec une aimable et sans doute irrésistible désinvolture. Une désinvolture pouvant aller jusqu’à l’inconscience lorsqu’il s’agissait d’exercer son métier. À l’instar de ce jour de grève générale, où il a plongé au cœur des manifestations, caméra à l’épaule, accompagné par son gamin, cartable à la main, recruté, pour la circonstance, comme assistant éclairagiste. Ce dont l’intéressé se souvient avec un mélange de crainte et d’exaltation.
Bref, c’est justement parce que cet ouvrage est dénué de prétention, jusqu’à son écriture d’une grande justesse mais sans envolée artificielle, que l’on a envie de le recommander. Comme une pépite que l’on réserve à ses amis. D’autant qu’une fois sa lecture achevée, on a une envie, même si telle n’était pas l’intention première de l’auteur : foncer découvrir ou redécouvrir Madrid.
Par Benjamin Ferret
Mark Greene se souvient de son enfance à Madrid, où il est né en 1963 et a vécu la transition démocratique espagnole.
Mark Greene a vu le jour « dans une autre vie, dans un autre monde ». Madrid, 1963. D’être l’enfant d’une Française et d’un Américain, photoreporter de métier, fait qu’il ne compte pas avec la nationalité espagnole.
Mais, être écrit par « un produit du cosmopolitisme » est sûrement ce qui rend si poignant son récit d’une jeunesse passée dans la capitale espagnole. Dans les pages de « Réel Madrid », Mark Greene se place en effet comme l’écrivain madrilène Francisco Umbral : « Sur le seuil, en bordure, à la fois en dehors et en dedans. » À l’époque, « l’Espagne était ailleurs. Loin, bien plus loin que la géographie ne pouvait le laisser supposer. Elle était complexe. Contradictoire », rappelle Mark Greene.
[...]
« Pays de murs »
« Comme une anomalie, une ex- croissance de la géopolitique et de l’histoire », l’Espagne dans la- quelle Mark Greene demeurait toutefois « un pays de murs [...] À croire qu’ils écrivaient, sur le sol aride, une phrase gigantesque. »
Ces limites vont finir par tomber, à partir de la transition démocratique entamée par le roi Juan Carlos. « On se tourne vers le plaisir, les jeux, la frivolité... Hé- donisme et individualisme sont de mise » durant la Movida, expli- que l’auteur. En ce début des années 1980, une idéologie remplace une autre idéologie, faisant ainsi mentir Napoléon qui affirmait que « l’Europe s’arrête aux Pyrénées ».
Parce que « les souvenirs sont notre pâture », Mark Greene raconte. Sans prendre parti, il dit simplement ce qu’a été sa jeunesse en Espagne : « On pourrait dire qu’un tout uniformisé a remplacé un rien singulier. »
Réel Madrid : Mark Greene, de Franco à la France
Par Claire Devarrieux
Entre le foot et les chars, le romancier raconte sa jeunesse à la fin du franquisme en Espagne, avant son départ pour Paris.
Romancier français, Mark Greene a eu une enfance et une adolescence espagnoles. Il le raconte dans Réel Madrid, où il est bien sûr question de foot, puisqu’il habitait avec ses parents Avenida del Generalisimo, près du stade, mais où on sent surtout un pays vivre, bouger, sortir de la dictature. Le récit s’ouvre sur une vision, un matin très tôt : une colonne de chars est alignée dans l’immense avenue silencieuse. Ils semblent « descendus du ciel ». Rien de magique, c’est jour de fête nationale, le 18 octobre. On est au début des années 70, Franco ne meurt qu’en 1975. Il y a d’autres chars, dix ans plus tard, dans un autre chapitre. L’auteur ne les voit pas, ils n’entrent pas dans la ville. Il passe la nuit à guetter les informations sur son transistor et à la télévision quand les émissions reprennent : le 23 février 1981, « quelques généraux nostalgiques » tentent un coup d’Etat. Mark Greene, né en 1963, est en terminale. À la rentrée, il ne sera plus madrilène, mais parisien. Il va passer sa vie à aller et venir entre les deux capitales, dans un mouvement immuable qu’il compare avec les journées du liftier de la librairie la Casa del Libro. Laquelle a changé d’adresse sans déménager, dans une rue débaptisée comme des dizaines d’autres après la mort du Generalisimo. La rue Carlos Maurras, elle, a conservé son nom, dont l’auteur s’est avisé, longtemps après, qu’il s’agissait tout bêtement de Charles Maurras. Le père de l’Action française reste dans ses quartiers, lesquels jouxtaient naguère la part la plus cosmopolite de Madrid : on croise Clint Eastwood comme Jeanette, l’interprète de Porqué te vas, la chanson du film Cria Cuervos, et l’enfant peut y admirer le chic absolu, « le manteau bleu marine de Fernando Umbral », écrivain dandy. Cosmopolite, la famille de Mark Greene l’est aussi, d’« un cosmopo- litisme de hasard, issu de la Seconde Guerre mondiale, qui ne se haussait pas du col ». [...]
« Franco doit aux Etats-Unis de l’avoir extrait de l’isolement politique auquel il était condamné », écrit Mark Greene. Aussi les Américains « jouissent d’un statut particulier ». Quand l’auteur, encore collégien, et son père, un jour de grève, sont confrontés à la menace de la seguridad parce qu’ils ont filmé des militaires reconvertis en conducteurs de métro, seul le père sait qu’ils ne risquent rien. Il a bu un verre au Hilton avec Ava Gardner, il a passé un long moment avec son idole, le crooner Bing Crosby, ou ce qui reste de son idole : ce n’est pourtant pas ce qui fait du père un personnage mémorable. C’est sa manière, « respectueuse de son partenaire », de jouer au tennis. Mark Greene est à la fois l’observateur discret et attendri de son milieu familial, et l’hôte reconnaissant d’un pays devenu le sien parce qu’il avait adopté ses parents.
Pendant la Modiva
Par Monique Ayoun
Une Espagne lumineuse et opaque
Par Sébastien Lapaque
Une jeunesse madrilène
Par Olivier Mony
Mark Greene se souvient de son enfance à Madrid, entre le crépuscule du franquisme et la transition démocratique. Magistral.
Au registre des grands nostalgiques, Mark Greene est, depuis vingt ans et une dizaine de livres, rien moins qu’un maître. Dans Réel Madrid, il fait le récit de
sa jeunesse madrilène durant les années 1965-1985 où il vécut la fin du franquisme, l’arrivée de la démocratie et la naissance de la fête dionysiaque que fut la Movida. Ce cosmopolite par
essence (nationalité américaine, écrivain français...) nous offre ainsi comme le « Rosebud » de toute son
œuvre puisqu’il est bien compris avec Barthes « qu’il n’est pays que de l’enfance ». Est-ce son plus beau livre ? Peut-être, c’est surtout sans doute celui où il s’approche au plus près de sa vérité intime, de ce qui le fonde et le traverse à la fois.
Ce sont donc d’abord des figures et des souvenirs. Une colonne de chars dans
une avenue écrasée de chaleur et de silence, la beauté d’Ava Gardner, les
corridas sur tous les écrans de télé, une tentative de coup d’État dans la nuit, un célèbre footballeur et voisin discret, le corps de Bing Crosby reposant solitaire dans un funérarium municipal... Une chanson douce qui témoigne d’un pays et d’une ville détachés déjà de leur passé tout en souhaitant le retenir encore un peu. Et sur ces jours passés, les visages infiniment bienveillants des parents de l’auteur : une mère française, un peu inquiète, qui quitta son pays natal pour s’inventer une vie, à Londres et Tanger d’abord, à Madrid ensuite ; un père américain, photographe, reporter, un brin mélancolique, avec qui il est doux de jouer au tennis ou de laisser filer les jours. Avec ce livre magistral, Mark Greene vient de les rattraper.
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