Je déclare mon loft indépendant
par Jean-Claude Vantroyen
Dans « Passeport pour l’utopie », Graziano Graziani dresse l’inventaire des micronations du monde, hier et aujourd’hui. Surprenant et passionnant.
En fait, il suffit de le vouloir. J’ai envie d’être le roi ou le président. Et comme je n’ai aucune chance de le devenir d’un Etat qui existe, pourquoi ne pas créer moi-même un Etat pour le devenir ? Alors, voilà, dès à présent, mon loft est proclamé Etat souverain dont je suis le guide, je déclare son indépendance et je me rallie au réseau des micronations du monde. J’imagine même un drapeau, une monnaie, une devise et je crée un site internet.
C’est un peu fou, non ? Sans aucun doute. C’est pour cela que le paragraphe précédent n’est qu’une fiction. Mais les 50 micronations relevées par le journaliste italien Graziano Graziani existent bel et bien, ou ont existé. Ce sont des Etats autoproclamés, dont la taille varie des quelques mètres carrés de la chambre d’un adolescent au quartier d’une ville, à une bande de terre, à une île abandonnée de quelques hectares. Comme dit l’auteur, « une micronation apparaît lorsque quelqu’un fait une dé- claration d’indépendance». Bien sûr, celle-ci n’est pas toujours reconnue. Mais cela n’empêche pas que ces micronations ont une histoire.
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Zinc
Nous avons eu une micronation à nos frontières, de 1816 à 1920, c’est Moresnet-Neutre, 3,5km2, artificiellement créé parce que la Prusse et les Pays-Bas (puis la Belgique) réclamaient tous deux cette zone, riche en zinc. D’ailleurs, David Van Reybrouck a écrit cette histoire dans son livre Zinc (Actes Sud).
Le royaume de Talossa est né en 1979, à Milwaukee, aux Etats-Unis. Robert Ben Madison, 14 ans, déclara sa chambre à coucher du deuxième étage nation indépendante souveraine. Talossa parce que cela signifie « maison » en finlandais. L’ado se proclama roi Robert Ier, et étendit les 5m2 de sa chambre aux 13 km2 situés entre la rivière Milwaukee et le lac Michigan. Cette micronation existe toujours sur la toile.
La principauté de Sealand est sans doute la plus célèbre des micronations d’aujourd’hui. Elle s’est établie en 1967 sur une plateforme militaire en pleine mer à l’initiative d’un aventurier, Paddy Roy Bates – 550 m2, une habitation, un héliport. Drapeau, service postal inter- national (avec les postes belges), hymne national, dollar de Sealand, constitution, gouvernement. Paddy est mort en 2012. C’est son fils Michael qui est le prince de Sealand.
Graziano Graziani nous offre ainsi des histoires inhabituelles, faites d’utopie, d’aspiration à la liberté, d’aventure, d’inventivité, de volonté d’autonomie et, parfois aussi, d’arnaque. Et montrent que tout est possible. En fin de compte, Andorre, Saint-Marin, Monaco sont des micronations qui ont réussi.
7 lectures d'été recommandées par Le Figaro
par Jean-Christophe Buisson
Qui n'a jamais rêvé de fonder son propre pays, son propre empire, son propre État ? Certains l'ont fait. Souvent minuscules, parfois imaginaires, tolérées ou ignorées, ces micronations sont ici recensées avec le plus grand sérieux. Leurs noms sont à elles seules des portes ouvertes sur le rêve : hospodariat de Melténie, dominion de Melchisédek, République Libre du Liberland, etc. Sans oublier le royaume d'Araucanie et Patagonie cher au regretté Jean Raspail...
Drôles d'États
par Jean-Christophe Buisson
Saviez-vous qu'il y eut un empereur des États-Unis au XIXe siècle - Norton 1er ? [...] L'hospodariat de Melténie, nation mouvante constituée de bateaux naviguant sur la mer Noire ? La principauté de Hutt River, en Australie, dont l'hymne national prétent "It's a hard land" ? [...] Sans parler du royaume d'Araucanie et de Patagonie cher au regretté Jean Raspail...
Dans un livre très sérieux, Graziano Graziani recense ces micronations un peu bizarres, plus ou moins réelles, plus ou moins reconnues, souvent loufoques et provisoires. On est au carrefour de l'histoire, de la géographie, de la politique et de la psychiatrie, et ce n'est pas désagréable.
« Mon Etat à moi ». La chronique de Bernard Quiriny
par Bernard Quiriny
Qui n’a jamais songé, après avoir reçu son avis d’imposition, à faire sécession ? Plus généralement, qui peut jurer qu’il ne s’est jamais rêvé monarque d’un royaume personnel, libre de prendre tous les décrets qui lui plaisent, parlant d’égal à égal avec les chefs d’États du monde ?
Ce rêve, ils sont quelques-uns à l’avoir mis en œuvre : ce sont les inventeurs de micronations, ces petits Etats-anomalies surgis au fil de l’histoire, tels des défis bravaches à l’ordre géopolitique. Le journaliste ita- lien Graziano Graziani a mené l’enquête sur ces pays improbables, la plupart non reconnus par les Etats « ordinaires » et par l’ONU, mais qui distribuent allègrement des passeports, battent monnaie et proclament des constitutions. Après avoir tiré de ses recherches des chroniques sur RAI Radio 3, Graziani en a fait un livre, Stati d’eccezione, augmenté au fil des ans de chapitres supplémentaires évoquant de nouveaux cas.
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Protestation écologiste ou libertarienne, défense d’un particularisme local ou simple désir de concrétiser un rêve, les motivations des créateurs de micronations sont multiples. La plupart d’entre eux sont doués d’un solide sens de l’humour, comme en témoignent les dispositions juridiques qu’ils édictent. Par exemple, en République de Molossia, enclave américaine de 0,053 km2 dirigée par un certain Kevin Baugh, il est illégal de « provoquer une catastrophe » et de « porter des bottes de cow-boy à moins de pos- séder deux vaches au minimum »...
Derrière leur loufoquerie, les micronations n’en posent pas moins des questions très sérieuses de droit in- ternational et de philosophie politique. A partir de quand un Etat existe-t-il ? Qu’en est-il du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Les micronations invitent en fait à mettre le monde à plat, et à réfléchir à de nouvelles façons pour l’homme d’habiter la Terre.
Comme l’explique George Cruikshank, alias George II, empereur d’Atlantium (une monarchie imaginaire en territoire australien) : « Nous vivons dans un monde qui est encore, grosso modo, celui des traités de Westphalie. Cette distribution, à mon sens, est de plus en plus compromise par les défis environnementaux et humains auxquels nous devrons faire face. Le micronationalisme peut jouer son rôle dans cette remise en question, aider à redéfinir les structures politiques et sociales, et il peut le faire le sourire aux lèvres. » C’est décidé, demain, je deviens roi.
Micronations
par Bernard Quiriny
Et si vous fondiez votre propre État, dont vous seriez le souverain à vie ? Le journaliste Graziano Graziani a établi l'inventaire des micronations, ces minuscules États improbables qui surgissent comme autant de défis à l'ordre juridique mondial.
Royaumes d'opérette... ou pas ?
par Jacques Lindecker
Monaco, Andorre, Saint-Marin, ces (très) petits états font parfois sourire mais n’en sont pas moins reconnus. Mais qu’en est-il des « micronations », ces confettis terrestres nés d’un coup de folie ou d’un rêve et qui aspirent à devenir de « vrais » pays ?
Connaissez-vous Seborga ? Apparemment, un paisible village italien de 350 habitants niché dans les Alpes liguriennes entre Menton et Sanremo. Du point de vue du droit, Seborga n’est qu’une commune transalpine comme les autres. Avec un maire, comme les autres. Mais Seborga est aussi une... Principauté dont l’histoire remonterait à 954. En 1963, exploitant une faille légale, le fleuriste local, Giorgio Carbone, organise un référendum pour contester l’annexion de Seborga par l’Italie. C’est un plébiscite. Giorgio devient le premier souverain. Dans la constitution écrite par Giorgio Ier, il est stipulé que les princes sont élus tous les sept ans. Après sa mort en 2009, Marcello Menegatto a été choisi par les Seborgiens pour lui succéder. Depuis sa démission l’an passé, c’est son épouse Nina Ier qui règne.
L’existence de Seborga n’est pas un long fleuve tranquille, toujours écartelée entre son indépendance (elle a son gouvernement, son drapeau, ses ar- moiries et sa monnaie – le Luigino) et le fait que tout (routes, électricité, assainissement...) appartient à l’Italie. Inlassablement en quête de recon- naissance internationale, elle a nommé une trentaine de consuls – bénévoles - dans le monde pour militer en sa faveur, dont l’un, Marcel Mentil, se trouve en Alsace, à Guewenheim.
À cœur vaillant...
Seborga est l’une des 50 micronations, passées ou actuelles, que nous raconte, mi-amusé, mi-fasciné, le journaliste italien Graziano Graziani dans Passeport pour l’utopie. 50 pays minuscules qui n’ont jamais accédé officiellement au statut d’État et qui, pourtant, le voudraient tellement. 50 confettis de planète (par leur taille), nées d’un rêve, d’un projet artistique, d’un canular, d’un idéal politique, d’un calcul économique ou du caprice d’un dictateur en herbe. 50 histoires vraies et qui paraissent néanmoins inventées, foldingues, surréalistes, attendrissantes. Ainsi, qui sait qu’un certain Joshua Norton s’autoproclama empereur des États-Unis entre 1859 et 1880 et devint la coqueluche du San Francisco d’alors ? Ou que, entre 1816 et 1920, la Prusse et les Pays-Bas, incapables de s’entendre sur la possession d’une importante mine de zinc, fondèrent une zone à administration conjointe, le Moresnet neutre ? Plus étonnant encore, on découvrira le destin de l’île Ferdinandea qui, en 1831, émergea sous l’effet de l’intense activité volcanique en mer de Sicile... et déchaîna immédiatement la convoitise de plusieurs pays (le débat est depuis clos, le caillou se trouvant aujourd’hui à six mètres sous le niveau de la mer). [...]
On l’aura compris, cet inventaire à la Prévert des micronations est un délice. Il rappelle que l’homme a été et demeure capable de renverser l’ordre établi, même à une petite échelle. À cœur vaillant, rien d’impossible, pour le meilleur et pour le pire. Il souligne aussi qu’Internet a vite fait de dévoyer ces créations utopiques. Ainsi, pour en revenir à l’exemple de Seborga, la quiétude de la Principauté a été récemment mise à mal par l’irruption sur la toile, puis sur place, d’un Normand à la légitimité obscure (il s’affiche descendant d’un aide de camp de Napoléon III) qui s’autoproclama prince, à coup de création d’un site « officiel » parallèle, d’une administration électronique et d’une monnaie virtuelle. De véritables victimes firent confiance à l’altesse fantoche. Une instruction pour escroquerie en bande organisée et usage de faux est en cours.
Micronations, désirs d'ailleurs
par Frédérique Roussel
Opportunités géographiques, captrices de milliardaires ou utopies d'artistes : l'essai de Graziano Graziani détaille les tentatives de créations épiques d'une cinquantaine de territoires autonomes.
Un jour, un morceau de roche enfoui sous la mer émergea grâce à une éruption volcanique. A sa découverte, en juillet 1831, il mesurait quatre kilomètres carrés. L’Angleterre y planta illico l’Union Jack pour s’arroger cet avant-poste stratégique en Méditerranée. Ferdinand II, roi des Deux-Siciles, souligna que ce caillou épidermique situé à vingt kilomètres des eaux siciliennes était le sien. Les Français envoyèrent une estafette scientifique. Les Anglais baptisèrent l’îlot «Graham», les Napolitains «Ferdinandea» et les Français «Julia». Quelques mois plus tard, l’île sombrait puis, dans les années qui suivirent, on la vit réapparaître et redisparaître à plusieurs reprises, sans pour autant enterrer les diverses revendications. Pour couper court à la controverse, alors que l’Etna menaçait de l’exhumer de nouveau en 2002, des plongeurs italiens plantèrent le drapeau national sur la cime du volcan, à près de six mètres en dessous du niveau de la mer. Le cas de l’île Ferdinandea montre que tout espace a priori libre suscite les convoitises, et que tout espace revendiqué vise à affirmer une forme de liberté. Passeport pour l’utopie passe ainsi en revue une cinquantaine de micronations, à chaque fois l’occasion de relater une histoire épique, menée par des personnages hauts en couleur, déterminés à imposer leur propre vision du pouvoir et de l’autonomie. Des Lilliputiens de l’histoire des nations.
Eperon rocheux
Le concept de micronations, qui concerne des pays minuscules non reconnus comme Etats, n’inclut pas que des territoires géographiques. Dans son inventaire, l’auteur a choisi des entités qui offrent une extension de territoire, si microscopique soit-il, ou qui la réclament, mais aussi des projets artistiques, «qui revendiquent précisément une idée de citoyenneté détachée de l’appartenance territoriale». Illustration concrète du confetti, on dénombre une forte proportion d’îles comme Ferdinandea, et parfois artificielles. C’est le cas de la principauté de Sealand, «probablement la plus célèbre». Fondée en 1967 par l’aventurier anglais Paddy Roy Bates, elle est formée d’une ancienne plateforme militaire de métal et de ciment posée sur un éperon rocheux sous-marin en pleine mer du Nord. C’est l’une des plus micronations les plus pérennes, même si le prince régnant Michael, depuis l’abdication de son père, a bien tenté de la vendre.
Le milliardaire Michael Oliver, lui, a carrément créé une île pour donner vie à un Etat indépendant, rêvant d’une société sans «impôts, sécurité sociale, subsides ou toute autre forme d’interventionnisme économique», la fiscalité étant un argument majeur pour certaines de ces créations. Jetant son dévolu sur un atoll du Pacifique, il fit amener des cargos de sable pour rehausser son niveau, bâtir une tour de laquelle il proclama solennellement la naissance de la République de Minerve, la plus petite du monde, le 19 janvier 1972. Si cette initiative paraît inoffensive, elle n’a pas fait rire l’aréopage de pays alentour : Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji, Nauru, Tonga, Samoa et îles Cook organisèrent un conclave pour décider de la manière de se débarrasser du fâcheux. Les Tonga revendiquèrent ce territoire jusque-là pourtant négligé et envoyèrent l’armée pour éradiquer Minerve, qui n’aura vécu que neuf mois. L’utopie aurait pu susciter des petits, d’autres gênantes volontés indépendantistes.
S’il y a des précédents historiques, en particulier le cas de la République de Counani, entre le Brésil et la Guyane, de 1886 à 1912 - que Graziano Graziani ne cite pas mais auquel Bruno Fuligni a consacré un livre (1) -, la proclamation d’indépendance se développe surtout dans la seconde moitié du XXe siècle et «pour les raisons les plus variées : la politique, le canular, l’économie, l’utopie, voire l’arnaque».
Numismatique
La majorité des exemples cités dans Passeport pour l’utopie, qui les a classés en fonction de thématiques («Iles fortunées», «Œuvres d’art», «Quartiers libérés», «L’imagination au pouvoir»…), frappent par la sorte de normalisation que suscite la création ex nihilo d’une république ou d’un royaume. A leurs instigateurs, il paraît en général nécessaire de déployer la panoplie classique de tout Etat qui se respecte : dessiner un drapeau, battre monnaie et imprimer des timbres, qui font ensuite la joie des passionnés de numismatique et de philatélie. Ainsi y sacrifia la principauté de Seborga, un village de Ligurie de 370 habitants et de 14 km2 sur lequel règne Marcello Ier, ou la République de Kugelmugel fondée le 2 juin 1984, grande de 100 m2 dans le parc du Prater, à Vienne. Des Constitutions fleurissent parfois, à l’instar de celle du royaume d’Elgaland-Vargaland, situé dans les interstices des autres Etats (annexion du territoire démilitarisé entre les deux Corées, de la ligne bleue entre le Liban et Israël, de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, voire de différents états mentaux et perceptifs comme la limite entre veille et sommeil), qui a notamment édicté dans son article 16 que tout citoyen possède «le droit à ses idéaux», «le droit de circuler librement en ordre hiérarchique», «le droit à tout et au reste», «le droit du milieu», «le droit de moins que rien», «le droit de se faire mouiller la tête» (sic)… C’est une monarchie absolue, artistique, sur laquelle règnent Michael Ier (Carl Michael von Hausswolff) et Leif Ier (Leif Elggren).
Des personnalités utopistes, anarchistes, contestataires, président souvent à l’avènement de ces micronations : un berger corse intrépide et têtu, Giuseppe Celestino Bertoleoni Poli, revendiqua au début du XIXe siècle la possession d’une île inhabitée de l’archipel de la Maddalena, au large de la Sardaigne, Tavolara, qui deviendra un royaume. Un homme fantasque de 20 ans, Razvan Popescu-Mirceni, fonda l’hospodariat de Melténie ou «seigneurie médiévale» le 23 juin 1995. La «seule nation mobile de la planète» est constituée par une série d’embarcations naviguant entre la mer Noire et la Méditerranée. La Melténie a inspiré Peter Thiel, l’un des fondateurs de Paypal, qui a consacré 1,250 million de dollars à une fondation qui travaille à réaliser des cités flottantes autosuffisantes. Il se dégage une certaine créativité chez ces idéalistes, pour qui être libre prime sur tout.
Voyage insolite : tour du monde des micronations
propos recueillis par Cyril Guinet
Républiques utopistes, monarchies délirantes, principautés abracadabrantes… les micronations sont des États autoproclamés dont la taille varie de la chambre d’un adolescent à un quartier d’une ville. Leurs fondateurs - souverains excentriques ou dictateur ridicules - les ont créés pour des raisons diverses : idéalisme, art, écologie, évasion fiscale, ou... farce. Le journaliste italien Graziano Graziani a réalisé un inventaire de ces étranges pays. Pour GEO, il revient sur son enquête et explique pourquoi, moqués hier, les micronations sont en train de prendre une nouvelle dimension.
GEO : Comment définissez-vous une micronation ?
Graziano Graziani : C’est un très petit territoire revendiqué par quelques individus, parfois même par une ou deux personnes seulement. Une micronation apparaît lorsque quelqu’un
fait une déclaration d’indépendance. Moi par exemple, je pourrais revendiquer l’indépendance de mon appartement. Si l’Italie ne reconnaît pas ma sécession, mon pays est un Etat non reconnu, mais
l’histoire de mon Etat imaginaire n’en existe pas moins. Fondamentalement, les États-Unis sont nés de cette manière. Bien sûr, dans ce cas précis, une armée et une guerre ont été nécessaires pour
faire respecter ce récit, et faire des États-Unis un véritable État. Les micronations, elles, n’ont pas de revendications aussi belliqueuses. Elles vivent dans l’espoir d’être tôt ou tard reconnues
en tant qu’entité autonome, comme la Principauté de Monaco par exemple.
Dans votre ouvrage, vous proposez un panorama complet des micronations. Combien en avez-vous visitées ?
Malheureusement, il n’a pas été possible de me rendre dans toutes les micronations que je cite dans mon livre. J'en ai vues beaucoup, y compris certaines qui ont aujourd'hui disparu. Mais, par
exemple, je n’ai pas pu aller en Australie, où il existe pourtant plusieurs micronations. Heureusement, j’ai eu l’occasion d’interviewer quelques micronationalistes australiens et américains à
Londres, en 2012, lors d’un sommet mondial de la micronation.
Quelles sont les motivations des fondateurs de ces pays ?
Elles sont nombreuses et très hétéroclites. Certains prétendent restaurer l'indépendance perdue d'une contrée, même si elle remonte au Moyen Age. Des utopistes souhaitent créer une petite patrie
idéale; où souvent, il seront le souverain qu'ils ont toujours rêver d'être. Il existe également des micronations adossées à des entreprises, financées par de riches hommes d’affaires qui espèrent
ainsi échapper aux impôts de leur pays d’origine en fondant un État avec une imposition avantageuse pour eux. Il ya eu aussi dans le passé des Etats escrocs : des petites nations imaginaires, avec
des banques imaginaires, mais qui servaient à voler de l’argent bien réel.
Dans votre livre, vous soulignez le rôle d’Internet dans l’histoire des micronations. En quoi est-ce une révolution ?
Jadis, seuls les riverains vivant à proximité de ces lieux les connaissaient. En Ligurie, dans le nord de l’Italie, par exemple, il existe une micronation appelée Seborga. Moi qui vis à Rome, je n’en
avais jamais entendu parler avant d’étudier ce phénomène. Les micronations restaient donc des histoires locales et bizarres, souvent considérées comme uniques. A tort. Internet nous a révélé le
continent caché des micronations. Et les micronationalistes, eux, ont réalisé qu’ils n’étaient pas isolés. Diverses initiatives sont nées, comme les sommets internationaux de la micronation mais
aussi des réseaux et alliances. Aujourd’hui, un Etat autoproclamé non reconnu par l’ONU peut demander à une autre micronation de la reconnaître. Ils établissent des échanges et des relations
bilatéraux qui leur donne du poids et l'impression d'exister. Plus intéressant encore, un récit commun et une culture de micronationalistes ont vu le jour.
Sait-on qu’elle est la première micronation de l’Histoire ?
Dans leur assertion actuelle, les micronations émergent toutes après la Seconde Guerre mondiale. C’est intéressant de le constater, parce que cela trahit peut-être une réaction à ce qui est le modèle
de société du XXe siècle : des États qui dominent l’individu dans tous les aspects de sa vie. Ce modèle a même connu des dérives monstrueuses, avec le nazisme et le stalinisme. Une des premières
"nations idéales" apparue après guerre est Celestia, la nation des cieux, dont l’indépendance a été déclarée en 1948 pour confisquer la souveraineté sur le ciel aux Russes et aux Américains qui se
préparaient à la guerre froide. Généralement, on considère que la Principauté de Sealand, fondée en 1967 sur une ancienne plate-forme militaire au large des côtes anglaises est la première
micronation moderne. C'est devenue une référence pour toutes les suivantes.
Une des micronations les plus étonnantes, parce que c’est aussi une des plus petites, est le Talossa. De quoi s’agit-il ?
C’est un royaume, fondé par Robert Ben Madison, un Américain de 14 ans. Le jeune souverain a proclamé l’indépendance de sa chambre, au deuxième étage de la maison de ses parents située à Milwaukee,
aux États-Unis, en 1979, solennellement coiffé d’un casque de pompier. Encore aujourd’hui, Talossa (qui signifie en finnois "à la maison") est cité comme l’un des modèles de micronation les plus
réussis. Comme vous pouvez le voir, il arrive parfois que l’imagination prenne le pouvoir.