Philippe Cohen-Grillet

Nos années de plomb

Du Caire au Bataclan : autopsie d'un désastre

240 pages, 19 euros

6 octobre 2016

 

 

 

 

 

REVUE DE PRESSE

Radio Notre Dame, 14 novembre 2016

Le Grand Témoin

par Louis Daufresne

 

Un grand entretien à écouter ici.

TV5 Monde, 13 novembre 2016

RTL Nieuws (Pays-Bas), 13 novembre 2016

Een jaar na de aanslagen in Parijs

(Un an après les attentats de Paris)

par Stefan de Vries

 

Entretien avec Philippe Cohen-Grillet à partir de 17 min. 35 s.

L'Est républicain, Le Républicain lorrain, Vosges Matin, 13 novembre 2016

Philippe Cohen-Grillet : "Je sens une colère sourde"

propos recueillis par Alain Dusart et Alexandre Poplavsky

 

Dans votre livre, vous mettez en relation les attaques à Paris voici un an avec l’attentat du Caire le 22 février 2009 qui avait coûté la vie à Cécile Vannier Pourquoi ce lien ?

Cela faisait très longtemps que la France n’avait pas été visée. Le lendemain, j’ai découvert que durant la nuit, les services secrets français avaient produit un document sur cet acte terroriste visant nommément notre pays. Selon la note, il s’agissait de représailles à la présence de la frégate porte-hélicoptères Germinal au large de Gaza pendant l’opération «Plomb durci » de l’armée israélienne. Les lycéens blessés au Caire et leurs accompagnateurs ont raconté qu’ils avaient été suivis pendant plusieurs jours par deux individus suspects. J’ai découvert que parmi les sept protagonistes identifiés par les Egyptiens comme membres de l’Armée de l’Islam (branche d’Al Qaïda à Gaza), il y avait deux francophones, le Belge Farouk Ben Abbes et la Française d’origine albanaise Dude Hoxha. Cette dernière a tenu un journal en prison où elle raconte que « Farouk, un frère belge » projetait de commettre deux attentats en France, l’un contre une cible juive à Saint-Denis et l’autre contre le Bataclan, parce que les propriétaires étaient juifs.

 

La France a-t-elle engagé des procédures ?

Oui. Il y a l’instruction de l’attentat du Caire qui à ce jour compte 24 000 pages et dans laquelle Farouk Ben Abbès n’a toujours pas été entendu. A cette procédure, s’ajoute une seconde instruction sur le projet du Bataclan qui s’est soldée par un non-lieu, malgré les 6000 pièces versées au dossier. En mars dernier, Farouk Ben Abbes, qui est actuellement mis en examen dans un autre dossier de propagande djihadiste sur internet et assigné à résidence à Toulouse, a été indemnisé par l’Etat pour avoir effectué 16 mois de détention provisoire sur le projet du Bataclan. Le ministère de la Justice lui a même versé par erreur plus de 20 000 euros au lieu des 7000 obtenus.

 

Mais qui est donc ce Farouk Ben Abbes ?

Il fait partie de la génération des djihadistes durs, qui ont essaimé en Belgique puis au Caire et à Gaza, autour des frères Clain, lesquels ont revendiqué en chanson les attentats du 13 novembre 2015, et des frères Farid et Hakim Benladghem de Nancy. (...)

 

Comment et pourquoi ce groupe a décider de passer à l’action ? 

Cette petite communauté de djihadistes francophones étudiait l’arabe et le djihad au Caire. C’est autour d’un repas au restaurant, en regardant défiler à la télé des images de Gaza sous les bombes, que deux d’entre eux, Farouk Ben Abbes et Farid Benladghem, ont décidé de rejoindre leurs frères palestiniens pour « faire de l’humanitaire », mais finalement rencontrer l’Armée de l’Islam.

 

La justice a-t-elle déterminé qui finançait ces études et ce djihad collectif?

Les flux financiers n’ont jamais été identifiés, et peut-être même pas recherchés, mais les services égyptiens ont fourni des éléments à charge, dont une clé USB sur laquelle se trouvait le manuel crypté du parfait djihadiste et le mode d’emploi de pose des bombes.

 

Vous connaissez beaucoup de victimes et de proches. Comment vivent-elles les errements de l’enquête ?

Je sens à chaque fois une colère sourde chez les survivants ainsi que chez les parents et proches des victimes. Ils ne comprennent pas les incohérences ou les mensonges.

Le Temps (Suisse), 12 novembre 2016

Au Bataclan, la musique pour panser des blessures impossibles à cicatriser

par Richard Werly

 

Il y a un an, 90 personnes trouvaient la mort dans la salle de spectacle parisienne assaillie par les terroristes. Ce soir, le chanteur Sting y donnera un concert hommage, alors que de nombreuses questions taraudent encore les victimes et leurs proches.

 

(...) Un journaliste, Philippe Cohen Grillet, vient de publier un livre d'enquête-choc, Nos années de plomb (Ed. Plein Jour) dans lequel il détaille ce qu'il a affirmé dès les jours qui ont suivi la tragédie : le Bataclan était visé par des menaces depuis 2009. Une information judiciaire avait été ouverte en 2010.

Pourquoi, alors, ce dérisoire dispositif de sécurité le soir du 13 novembre ? Le co-gérant de la salle, Jules Frutos,  est aussi taraudé par ces questions. Mais depuis un an, lui et son entourage ont mis leur énergie à rebâtir d'abord ce lieu de spectacle unique, qui s'appelait à l'origine le Grand café chinois: "Ne pas rouvrir, c'était nous tuer une seconde fois"  explique-t-il au Temps devant la salle entièrement rénovée et réhabilitée, mais toujours dans son "jus" d'autrefois. (...)

La Nouvelle République, 12 novembre 2016

Le Bataclan était la cible désignée depuis 2009

propos recueillis par Denis Daumin

 

Philippe Cohen-Grillet signe un livre ces jours-ci consacré à un attentat perpétré au Caire en 2009 dans lequel il apparaît que le Bataclan, notamment parce que son propriétaire de l'époque était juif, était une cible prioritaire. Saisie du dossier, la justice l'a classé.

 

Philippe Cohen-Grillet, 43 ans, est journaliste d'investigation et romancier. Collaborateur de « VSD », de « Paris Match », du « Figaro » il a mené de longues enquêtes sur des affaires de terrorisme. Celle qu'il a consacré à un attentat perpétré au Caire en février 2009 et dans laquelle une jeune Française a perdu la vie met au jour l'interconnection de différents réseaux terroristes et leurs exécutants.

Le déroulement de cette spirale conduit jusqu'au seuil du Bataclan, cible nommément désignée près de cinq ans avant les faits, notamment parce que les propriétaires de l'époque étaient juifs. Dûment informée, la justice française classe pourtant le dossier dans l'intervalle. Dans une longue recension des faits, des dates et des pièces resserrée sous la forme d'un livre, Philippe Cohen-Grillet entreprend « l'autopsie de ce désastre » et met en garde sur les failles de notre protection face à un ennemi très loin d'être neutralisé.

 

On ne peut pas revenir sur l'enchaînement et le foisonnement des éléments qui irriguent votre ouvrage et votre démonstration. Mais ce qui frappe une nouvelle fois le lecteur c'est ce paradoxe entre l'impeccable conscience professionnelle des policiers et des magistrats, à titre individuel, et l'inertie magmatique d'un système qui finit par figer les choses sans sembler jamais les aboutir. Ce qu'on appelle de l'inadaptation fonctionnelle ?

Il y a de ça. On peut poser la question des moyens, il y a aussi - et peut être d'abord - celle de la pratique. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) compte 3 800 postes, toutes missions confondues. En parallèle vous avez 20 000 fiches S dont plus de la moitié (10 500)  concerne des islamistes radicaux potentiellement dangereux. A la section antiterroriste du Parquet de Paris, treize magistrats sont aujourd'hui mobilisés sur 324 dossiers prioritaires et relatifs au terrorisme se réclamant de l'islam. Ce n'est pas mince, cela exige de la concentration, de la régularité et de la constance dans le suivi. Or quand vous reprenez le dossier de l'attentat du Caire - alertant très en amont, je le rappelle, sur la cible du Bataclan et clôt sur un non-lieu - vous constatez qu'à chaque audition de suspect ou de témoin c'est un nouveau fonctionnaire qui reprend la main.

Je poursuis. Au sommet de cette enquête qui pèse déjà 24 000 pages, on nomme un nouveau magistrat, le troisième en date. Il vient d'un tout autre horizon, celui des crimes contre l'humanité. Pour faire bon poids on lui colle aussi le volet français de l'attaque du musée du Bardot à Tunis, plus le suivi de l'ETA, c'est à dire le terrorisme basque.

Autre exemple : Marc Trévidic, co-saisi du dossier cairote à l'époque alerte son collègue travaillant sur le Bataclan. La suite ? Rien… Silence radio. François Hollande s'est engagé au nom de l'Etat à la vérité et la transparence auprès des familles de victimes et de l'opinion. Nous attendons avec impatience. La réalité c'est que le judiciaire fonctionne encore au rythme des années de paix. Implacable dans la poursuite d'un mec bourré ayant pris le volant, mais désemparé face aux nouvelles urgences. Celles des années de plomb.

 

Vous êtes également sévère sur l'amont et la surveillance des éléments les plus suspects.

L'illustration la plus effroyable nous a été fournie cet été avec l'assassinat du père Hamel à Saint Etienne-du -Rouvray. L'un des auteurs, en liberté surveillée et placé sous bracelet électronique, a parfaitement respecté ses astreintes horaires… le temps de perpétrer son crime. De la même manière, dans le dossier du Caire, le personnage central de Farouk Ben Abbès, lié aux auteurs de l'attentat et à beaucoup d'autres noms cités depuis dix-huit mois en Europe, est mis en examen pour propagande djihadiste sur le net et faute d'autres preuves. Il est à ce titre assigné à résidence. Or à trois reprises il s'en affranchit au prétexte, notamment, d'une transaction automobile amorcée sur Le Bon Coin. Réaction ? On le laisse faire, aller, venir. Contacter par internet et voir qui il veut. Je rappelle qu'il est intime des frères Clain, ces convertis dont l'aîné, Fabrice, a revendiqué l'attaque du Bataclan au nom de l'EI. Vous vous souvenez : "Nous avons frappé des cibles soigneusement choisies à l'avance."

 

Cette relâche apparente de la vigilance est peut-être feinte de la part des services de surveillance, vous ne pensez pas ?

Possible, mais ma conviction est qu'on ne peut plus jouer avec ces gens-là. Nous sommes face à des combattants aguerris, ultra violents, prêts à tout et particulièrement intelligents. Ils sont rompus à l'art de la dissimulation et nous sous-estimons, je crois, leur capacité de nuisance et de manipulation.

Dans ce registre, nous serons toujours perdants. (...)

Mainichi (Japon), 12 novembre 2016

Public Sénat, 10 novembre 2016

On va plus loin

par Sonia Mabrouk

 

"Le Grand Entretien", à partir de 1 h 08 min. 50 s.

France 2, 8 novembre 2016

Les 4 vérités

par Caroline Roux

 

"Après la peine, est-ce qu'il y a de la colère chez les victimes ? Est-ce qu'il y a de l'amertume, et la volonté de comprendre ? Le livre de Philippe Cohen-Grillet démontre que la justice était au courant des menaces qui pesaient sur le Bataclan dès 2009. Est-ce qu'on a tout fait pour éviter le Bataclan et plus généralement les attentats du 13 novembre ? Ce livre dit qu'on aurait pu faire autrement."

À partir de 7 min. 55 s.

Europe 1, 30 octobre 2016

C'est arrivé demain

par Emmanuel Faux

 

Intégralité de l'intervention de Philippe Cohen-Grillet ici.

Résumé de l'émission sur le site d'Europe 1 :

 

Le journaliste Philippe Cohen-Grillet était l'invité d'Emmanuel Faux, dans "C'est arrivé demain", pour parler de son livre-enquête Nos années de plomb : du Caire au Bataclan, autopsie d'un désastre.

 

Les attentats du 13-Novembre auraient-ils pu être évités ? C'est la question que l'on se pose à la lecture de l'ouvrage Nos années de plomb : du Caire au Bataclan, autopsie d'un désastre, de Philippe Cohen-Grillet. Invité dominical d'Emmanuel Faux dans "C'est arrivé demain", sur Europe 1, ce spécialiste du terrorisme, qui avait déjà publié des articles sur le sujet, estime que la justice a ignoré les menaces, n'a pas exploité certains indices. Et parle de "mensonge d'État".

Alors que cela fera bientôt un an que la France a été frappée à Paris et à Saint-Denis, cette contre-enquête égratigne sans concession la posture des autorités françaises. "Non seulement elles ont menti, mais elles continuent à mentir. On est dans un déni total. Ce n'est pas une affirmation en l'air, car c'est une affirmation grave. Je le démontre, dans le livre, preuves et documents à l'appui", charge Philippe Cohen-Grillet. "J'essaie d'amener le lecteur dans le bureau du juge d'instruction, au cœur de la lutte antiterroriste", explique-t-il pour éclairer sa démarche.

L'attentat du Caire, point de départ. Pour lui, le premier acte de l'attaque du Bataclan remonte à une autre attaque terroriste ayant frappé le Caire, le 22 février 2009, et durant laquelle une lycéenne française perdra la vie. "Immédiatement après l'attentat du Caire, les autorités égyptiennes ont arrêté sept personnes", rappelle-t-il. Parmi elles, une Française et un Belgo-tunisien, Farouk Ben Abbes.

Celui-ci avoue "très vite aux policiers égyptiens qu'il prépare un autre attentat, cette fois sur le sol français, contre le Bataclan, au motif que celui-ci appartenait à des juifs". Les Egyptiens transmettent immédiatement l'information aux Français, qui ouvrent une enquête préliminaire, puis une instruction. Ben Abbes est extradé, puis incarcéré pendant 16 mois. Aujourd'hui âgé de 31 ans, il demeure assigné à résidence et vit dans le quartier de la Reynerie, à Toulouse.

Ben Abbes, intime des Clain. Or, l'islamiste radical n'est pas n'importe qui : c'est un ami des frères Clain, dont le nom apparaît dans l'enquête sur les attentats du 13-Novembre. Fabien Clain a en effet prêté sa voix à l'EI pour revendiquer, dans un enregistrement sonore, les attaques. "Fabien et son frère Jean-Michel, qui sont aujourd'hui en Syrie et des pontes du groupe francophone de l'EI, sont des intimes de Ben Abbes, ils étaient ensemble au Caire en 2008. […] Ils se connaissent très très bien, ils étaient même encore ensemble début 2015", développe Philippe Cohen-Grillet.

Un "fiasco" judiciaire. L'enquête judiciaire dure deux ans et demi. "Et cette enquête, qui fait 6.000 pages, est un fiasco monumental", pointe Philippe Cohen-Grillet. "Il y a eu une sous-estimation de la menace. […] La France a perdu l'habitude que le sang coule. Il faut remonter au milieu des années 1990, à Khaled Kelkal ou l'airbus de Marignane, pour retrouver des attentats."

Au cours de l'instruction, la salle de concert est citée plusieurs fois lors d'interrogatoires par différents suspects, mais apparaît également dans une sorte de journal intime tenu par la Française incarcérée. Pourtant, "dans les 6.000 pages de ce dossier d'instruction, le mot 'Bataclan' n’apparaît que sept fois. La question précise sur le projet d'attentat au Bataclan, on l'a posée deux fois en deux ans et demi au suspect principal", dénonce le journaliste, qui parle de "défaillance du système judiciaire". Car "l'objet même de l'instruction, c'est bien le projet d'attentat délibéré contre le Bataclan", rappelle-t-il.

Un système "défaillant". Alors, comment expliquer ce non-lieu en septembre 2012, prononcé par le juge d'instruction antiterroriste Christophe Tessier, en charge du dossier ? "Je l'explique par une défaillance du système. Ce qui est beaucoup plus grave qu'une simple accumulation de petites erreurs ou de dysfonctionnements. […] On est face à des ennemis particulièrement retors, qui parviennent à balayer des éléments de preuve […]. Parfois, on se contente de réponses un peu indolentes… Et, finalement, ça se termine par un non-lieu", avance Philippe Cohen-Grillet.

Autre point fâcheux soulevé par le journaliste : "Jamais les propriétaires du Bataclan n'ont été informés de ces menaces. […] Tout s'est passé en vase clos". S'ils avaient été avertis, ces derniers auraient sans doute pris des mesures pour renforcer la sécurité du lieu de divertissement.

RMC, 26 octobre 2016

Radio Brunet

 

Intégralité de l'intervention de Philippe Cohen-Grillet ici.

Extrait vidéo. Interview vidéo de fin d'émission.

Résumé sur le site de l'émission :

 

Selon le journaliste Philippe Cohen-Grillet, la justice française était bien au courant des menaces qui pesaient sur le Bataclan dès 2009. Il estime que l'ancienne garde des Sceaux a menti.

 

Les attentats du 13 novembre étaient-ils une surprise pour la justice française ? Pas vraiment estime le journaliste Philippe Cohen-Grillet, auteur du livre Nos années de plomb. Du Caire au Bataclan, autopsie d'un désastre (Ed. Plein Jour).

Invité ce mercredi dans Radio Brunet, il estime en effet que l'Etat français a failli dans sa mission de nous protéger. "Il a failli par désinvolture, il a failli par incompétence et aujourd'hui on masque cette incompétence par du silence ou par des mensonges. Christiane Taubira lorsqu'elle était garde des Sceaux a menti, je l'écris et je le prouve !", accuse-t-il aussi.

"Elle nous a expliqué qu'il n'y avait aucun lien entre les terroristes qui étaient mis en cause en 2009-2012 et ceux qui ont commis les massacres du 13 novembre. Je prouve documents à l'appui que c'est faux! On voit notamment apparaître les frères Clain qu'on a dans le viseur et aujourd'hui on nous explique que la justice a fait son travail et qu'elle faisait ce qu'elle pouvait", détaille-t-il.

Et selon lui, la situation ne s'améliore pas: "Pour les survivants et les familles des victimes, c'est un discours inaudible. Le problème c'est que cette désinvolture se perpétue".

La Montagne, 20 octobre 2016

Le "fiasco" de la justice antiterroriste

propos recueillis par Jean-Marc Laurent

 

Dans Nos années de plomb, sous titré « Du Caire au Bataclan, autopsie d’un désastre », le journaliste et écrivain Philippe Cohen-Grillet dénonce le « stupéfiant échec » de la justice antiterroriste française qui disposait dès 2009 des informations annonçant l’attentat du Bataclan.

 

Désastre dites-vous ?

Oui, l’enquête sur l’attentat du Caire en février 2009, qui visait la France et a tué une lycéenne française de 17 ans, Cécile Vannier, en vacances en Égypte, a rapidement révélé que l’un des suspects de l’attaque, Farouk Ben Abbes, visait également deux cibles en France, l’une juive à Saint-Denis et le Bataclan.


Qu’est-ce que la justice a fait de cette information ?

Pas grand-chose ! À force de négligences, d’incohérences et de désinvolture, les menaces sur le Bataclan n’ont pas été suffisamment prises au sérieux. La justice a rapidement clos le dossier Bataclan 1, et le juge Teissier rendu un non-lieu en septembre 2012. Sans même avoir pris la peine d’avertir les propriétaires du Bataclan d’une éventuelle menace !

 

Pourquoi ce classement ?

Une instruction sans partie civile, conduite en toute discrétion. La justice a travaillé en vase clos, comme elle l’entendait. Trois ans d’enquête, un dossier de 6.000 pages qui révèle pourtant des éléments lourds. Et au final, un fiasco ! (...)

 

La publication de vos articles n’a pas influé sur le cours de la justice ?

J’ai évoqué des menaces contre la France dès le lendemain de l’attentat du Caire, dans Le Canard enchaîné d’abord, dans d’autres titres ensuite. Puis dans Le Figaro dans une grande enquête en février 2011 j’ai évoqué les autres cibles, dont le Bataclan. L’article du Canard du 16 décembre 2015, juste après les attentats, a été un tournant dans l’enquête que je menais, en solitaire, depuis 6 ans. Mais les autorités ont menti ou se sont drapées dans le silence pour couvrir les fautes et négligences, en disant qu’elles ne savaient pas ou que la justice égyptienne ne leur avait pas communiqué les pièces. Ce qui est faux, ainsi que je le démontre dans le livre.


Vous montrez aussi le lien entre Ben Abbes et les frères Clain qui ont revendiqué l’attentat du 13 novembre.

Oui, il y a un continuum terroriste Le Caire-Paris-Bruxelles. Ben Abbes et Fabien Clain entretenaient des liens étroits, se retrouvaient en Égypte, les services de renseignement suivaient leur trace… Né en 1985 en Belgique, Ben Abbes apparaît très malin dans tous les PV d’audition. C’est lui qui mène les interrogatoires ! Il manie en maître le flou, l’ambiguïté et l’art de retourner les choses.


Qu’est-il devenu ?

Toujours mis en examen, sous contrôle judiciaire, cette figure de l’islamisme radical est assignée à résidence à Toulouse. La justice l’a libéré en décembre, avec un chèque de 21 950 € pour détention injustifiée ! (Le Parisien a révélé il y a quelques jours qu’il touchait le RSA).


La justice a-t-elle tiré des leçons de ce « fiasco » ?

Malheureusement non ! Malgré les grandes déclarations, l’instruction Bataclan 2 suit le même chemin. Les victimes n’en peuvent plus d’entendre la parole officielle leur dire : “la justice suit son cours”.

Métro Belgique, 17 octobre 2016

« Le Bataclan était dans le viseur des terroristes depuis 2009 »

propos recueillis par Maïté Hamouchi

 

L’attentat du Bataclan aurait-il pu être évité ? C’est la question que tout le monde se pose depuis la parution de la contre-enquête du journaliste Philippe Cohen-Grillet. Un livre qui témoigne notamment des lacunes du système judiciaire français.

 

Votre livre vient de paraître. Quelles sont les réactions des autorités françaises ?

Il n’y a pas de réactions officielles des autorités. Il y en avait eu quand j’avais publié quelques articles mais pas cette fois-ci. En revanche, les familles des victimes des attentats du 13 novembre et du Caire sont accablées par ce qu’elles lisent. Il y a beaucoup de questions qui restent en suspens. Elles attendent que la justice fasse son travail.

 

On se souvient de la réaction de Christiane Taubira lors de la publication, le 16 décembre 2015, d’un de vos articles dans le Canard enchaîné dévoilant que «des lourdes menaces contre le Bataclan ont été ignorées pendant cinq ans».

Alors qu’elle est à l’époque garde des sceaux, elle ment. Elle dit qu’il n’existe aucun lien avéré entre les personnes qui sont mises en cause dans l’attentat du Caire de 2009 et celles qui ont frappé Paris. Pourtant, ce que j’ai publié, je l’ai fait à partir d’éléments de la police et de la justice belges. Car il faut savoir que contrairement à ce que disent beaucoup de responsables français, la police belge a fait son travail. C’est elle qui a fourni les éléments à la justice française. Dès 2003, elle a repéré Fabien Clain comme étant un membre de la mouvance radicalisée jihadiste. Elle a également établi le lien entre Farouk Ben Abbes, l’attentat du Caire, Fabian Clain, Maaroufi… Elle a transmis tout ça à la justice française. (...)

 

Vous expliquez également qu’il y a un nombre important de dossiers terroristes par rapport au nombre de magistrats.

Ça, c’est le problème que nous avons aujourd’hui en France. Il y a 324 dossiers terroristes au parquet de Paris et 13 juges d’instruction. Cela fait 27 dossiers par juge. Rien que pour le dossier du Caire, il y a 24.000 pages. Le dossier du Bataclan I qui s’est soldé par un non-lieu, ce sont 6.000 pages. Il y a un véritable manque de moyens humains.

 

Quels éléments laissent penser que le Bataclan était déjà dans le viseur des terroristes en 2009 ?

Après l’attentat du Caire, sept personnes sont arrêtées dont une Française, Dude Hoxha, et Farouk Ben Abbes. Ce dernier avoue, d’après lui sous la torture - il est vrai que les méthodes de la police égyptienne sont musclées -, un projet d’attentat contre le Bataclan et un autre contre un oléoduc dans le Sinaï. Immédiatement, les Égyptiens transmettent ces informations aux Français. Nous sommes le 9 mai 2009. Farouk Ben Abbes est belge, une équipe franco-belge est donc constituée. D’après les informations communiquées par la Belgique, en 2007, Farouk Ben Abbes est arrêté avec un certain Mahdi Maaroufi, qui avait comme projet un attentat contre l’hôtel Sheraton et un bâtiment de la Communauté européenne en Belgique. De plus, les Égyptiens détiennent le journal intime de Dude Hoxha, dans lequel elle retranscrit une conversation qu’elle a avec Fatima, la femme de Khaled Mustapha, le leader de l’Armée de l’islam (le groupe qui a perpétré l’attentat du Caire, NDLR.), qui lui explique que Ben Abbes veut frapper le Bataclan, tenu à l’époque par des juifs. C’est écrit noir sur blanc. Ce document est saisi par les policiers français. Par ailleurs, quand Ben Abbes est arrêté par les policiers égyptiens, on lui saisit une clé USB sur laquelle il y avait un logiciel de cryptage moudjahidine secrète, une littérature jihadiste extrêmement pointue, et des centaines de pages et vidéos de mode d’emploi d’explosifs. Il y a aussi un mail entre le chef d’Al-Qaïda et le chef de l’Armée de l’islam qui lui demande si ce ‘frère belge’ est prêt à commettre un attentat martyr en France.

 

Alors qu’est-ce qui explique qu’en 2012, Farouk Ben Abbes bénéficie d’un non-lieu ?

Ben Abbes va réfuter toutes les accusations. On ne lui posera pas plus de questions sur le Bataclan, aucune sur le journal intime de Dude Hoxha et quant à ses aveux aux policiers égyptiens, il répondra que c’était sous la torture. Donc fin de l’histoire, non-lieu !

 

À l’heure actuelle, est-il question de rouvrir le dossier Bataclan I ?

Il est clos par un non-lieu et pour l’instant, il n’est pas questions de le rouvrir. Pour dire les choses clairement, ce qui pose aujourd’hui problème à la justice française, c’est que si ce dossier est rouvert, c’est reconnaître implicitement qu’il y a eu un problème.

Viabooks, 16 octobre 2016

L'attentat du Bataclan aurait-il pu être évité ?

propos recueillis par Olivia Phelip

 

Philippe Cohen-Grillet a enquêté depuis 2009 sur une filière terroriste qui annonçait déjà l'attentat du Bataclan. Négligence ? Sous-estimation de la dangerosité des terroristes. Dans son livre,  Nos années de plomb (Plein Jour), l'auteur-journaliste écrit un livre-enquête terrifiant qui dénonce les faiblesses d'un système judiciare et le silence du politique face au terrorisme. Un texte qui ressemble à un roman noir et qui raconte hélas une histoire réelle. Philippe Cohen-Grillet revient sur ses huit ans d'enquête.

 

Philippe Cohen-Grillet a consacré huit ans à son enquête. Huit ans pendant lesquels il a démonté les écueils de la justice et remonté les filières djihadistes qui ont mené aux attentas terroristes du 13 novembre 2015 à Paris au Bataclan. Le fruit de cet énorme travail d'investigation donne un livre : Nos années de plomb (Plein jour). Philippe Cohen-Grillet est parti de l'attentat du Caire de 2009 et a montré le lien entre ce celui-ci et celui du Bataclan en 2015. Un lien non seulement avéré mais programmé, voire encore plus terrible annoncé. Avec en toile de fond les défaillances du système judiciaire, les silences du monde politique que cette prise de conscience dérange. L'attentat du Bataclan aurait-il pu être évité ? C'est in fine la question que pose l'auteur dans ce livre-enquête qui se lit comme un roman noir. Un récit écrit tambour battant, sans excès de style, avec précision et justesse, qui hélas ne parle que de "réalité", les faits, rien que les faits. Glaçant. Et important pour que d'autres Bataclan ne se produisent plus.

 

Pouvez-vous présenter aux lecteurs de Viabooks le thème principal de votre livre Nos années de plomb ?

Philippe Cohen-Grillet : Ce livre est à la fois une enquête, une contre-enquête et une « enquête sur l'enquête » en cours concernant les attentats. J'y démontre, preuves à l'appui, que des éléments précis et concrets auraient du alerter, dès 2009, quant aux massacres qui ont été perpétrés le 13 novembre 2015, en particulier le bain de sang au Bataclan. Cette salle de spectacle est une cible précisément désignée, de longue date, par les terroristes. Plusieurs djihadistes, notamment les frères Clain, qui ont revendiqué les attentats au nom de l’État islamique, étaient dans le viseur de la justice. Une instruction a été menée, dans la plus grande discrétion, sur un projet d'attentat contre le Bataclan. Celle-ci a été close par un non-lieu en 2012, au terme d'une enquête troussée avec une légèreté sidérante. Des preuves, des charges accablantes ont été balayées, des contradictions et des déclarations fallacieuses du principal suspect prises pour argent comptant, des pistes n'ont pas été explorées. L’enchaînement de fautes, d'erreurs et de négligences a conduit à une véritable désastre judiciaire. C'est ce que je révèle dans ce livre en menant le lecteur au cœur de la guerre antiterroriste.

 

En revenant sur les attentats du 13 novembre, vous montrez que la justice française était au courant des menaces sur le Bataclan et qu'elle n'a pas pris de mesures protectrices préventives. Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer cela ?

Les menaces contre le Bataclan étaient connues de la justice et de la police depuis 2009. Je publie de nombreux documents qui en attestent, issus du dossier d'instruction ouvert à l'époque et clos par un non-lieu. Il ressort de ces 6000 pages que le projet terroriste était avéré, un suspect mis en examen et écroué, la piste de complices identifiée, des ordres d'attentats sur le sol français échangés, noir sur blanc, entre des chefs terroristes. Jamais les propriétaires du Bataclan n'ont été informés de ces menaces. Ils n'ont même pas eu connaissance de l'enquête dont il ont découvert l'existence lorsque je l'ai révélée dans le presse. Jamais la salle n'a fait l'objet d'une quelconque surveillance. Lorsque l'on se sait menacé, on fait tout pour se protéger. Dans ce cas, terrifiant, rien n'a été fait jusqu'à la tragédie du 13 novembre. (...)

 

Votre enquête nous entraîne au cœur des mouvements djihadistes dont vous montrez la détermination.  Que vous a appris votre investigation sur ces mouvements ?

Même si certains États financent les mouvements djihadistes, ceux-ci sont largement autonomes. Ils suivent leur propre agenda politique, celui, a terme, de l'instauration d'un califat islamique. Voilà leur objectif stratégique qui passe par des attentats, tactiques. Nous ne sommes pas face à des groupes manipulés par de puissants services secrets étrangers comme ce fut le cas durant la guerre froide avec Action Directe, les Brigades Rouges, les mouvements d'extrême droite italiens ou la Fraction Armée Rouge en Allemagne. Aujourd'hui, les djihadistes mènent la guerre en leur nom et pour leur propre cause. Au sein de l’État islamique, la branche « francophone », notamment composée de Français et de Belges, s'est affirmée avec les massacres du 13 novembre. J'ai également constaté des obsessions récurrentes, comme le Bataclan, une cible désignée car l'établissement appartenait à des juifs. Il apparaît enfin qu'il existe un seul et même continuum terroriste. C'est un même réseau, progressivement développé, qui a frappé au Caire en 2009, à Paris en 2015 puis à Bruxelles.

 

Comment expliquer cette politique du déni et du secret de la part des autorités, ce que vous n'hésitez pas à nommer "mensonge d’État" ?

Les autorités françaises, politiques et judiciaires, sont plus qu'embarrassées par la révélation des enquêtes passées, bâclées, par les ratés, les erreurs qui mettent en lumière de graves défaillances, des incompétences. Plutôt que de les reconnaître, de dire aux victimes « vérité et transparence », ainsi que le leur a promis le Président de la République, il a été choisi de se taire, puis de mentir. Ministre de la Justice, Christiane Taubira a déclaré qu'il n'existait pas de « liens avérés »entre les suspects du projet d'attentat contre le Bataclan, entre 2009 et 2012, et les terroristes du 13 novembre. Il s'agit d'un mensonge, ainsi que je le démontre dans le livre, documents à l'appui. En mars dernier, Bernard Cazeneuve a affirmé devant la commission d'enquête parlementaire, sous serrement, n'avoir « vu aucune note témoignant d'une menace particulière contre le Bataclan ». En juillet, il a pourtant pris un arrêté d'expulsion contre le principal suspect de l'époque (arrêté d'ailleurs illégal et qui a avorté) affirmant que celui-ci « a confirmé l'existence d'une projet d'attaque terroriste visant une cible juive en France et notamment la salle de spectacle du Bataclan ». Le premier flic de France assène deux vérités contradictoires à quatre mois d'intervalle. Le procureur Molins nous a habitué a de grandes conférences de presse. C'est sous son autorité qu'a été recommandé le non-lieu en 2012. Il n'évoque jamais ce point, sans doute anecdotique. Le juge qui a décidé du non-lieu, Christophe Teissier, est celui-là même qui dirige aujourd'hui les magistrats qui enquêtent sur le 13 novembre, notamment sur le Bataclan. Il ne s'agit pas de mettre en cause tel ou tel -bien qu'il ne soit pas anormal, dans une démocratie, que les responsables rendent compte de leurs actes-, mais d'avoir le courage de regarder les erreurs qui ont été commises, en quoi le système a failli, afin que cela ne se reproduise pas.

 

Pourquoi avoir choisi d'écrire un livre et pas une série d'articles de journaux, par exemple?

Face à l'ampleur et à l'importance des sujets dont il est question, les plus gaves attentats de l'Histoire de notre pays, il m'a semblé que seul un livre pouvait rendre compte en détails de mon enquête et présenter tous les éléments, les révélations appuyées sur des pièces indiscutables. J'ai consacré de nombreux articles à l'attentat du Caire, puis aux connections avec ceux du 13 novembre. Mais il est impossible de rendre compte d'une enquête de huit années dans un article. Le 13 novembre au soir, j'ai été, comme chacun de nous, pétrifié face à l'horreur. Mais je n'ai pas été surpris que le Bataclan soit le théâtre d'un massacre terroriste. J'ai su immédiatement que j'allais écrire ce livre en rassemblant tous les documents, les témoignages, afin de donner au lecteur un récit précis et détaillé. (...)

 

Dans les remerciements vous saluez le courage de vos éditeurs. En fallait-il ? Et pourquoi ? Avez-vous été menacé ?

Du courage, il en faut à mes éditeurs, Sibylle Grimbert et Florent Georgesco, pour publier un livre qui met en cause de très puissantes autorités qui ont failli. Mes éditeurs m'ont laissé une liberté totale, sachant que chaque élément, chaque révélation du livre est étayé par des documents et des pièces incontestables. Je raconte dans le livre comment un membre du cabinet du ministre de l'Intérieur a, vainement, tenté de me déstabiliser et d'exercer, là encore vainement, une tentative d'intimidation auprès de la rédaction de Paris Match. Cette personne, qui ricane lorsqu'elle évoque les attentats, y a gagné en ridicule, entachant au passage l'ensemble du cabinet d'un ministère régalien. Un officier de police m'a demandé, sans rire, quelles étaient mes sources et mes informateurs. Il devait avoir un peu de temps pour cuisiner un journaliste avant de courir après les terroristes. Je crois qu'il a été déçu par mon absence de réponse, secret des sources oblige. Mes éditeurs, comme moi, recevons un florilège de messages d'insultes, notamment via le confortable anonymat des réseaux sociaux, des injures antisémites, des « quenelles » des amis des immondes Dieudonné, Soral et consorts. Tout cela ne mérite que le mépris.

Le Soir (Belgique), 14 octobre 2016

Bataclan I, les ratés de l'enquête

par Ludivine Ponciau

 

La salle de spectacle était ciblée depuis 2009. Et pourtant...

 

Le "cas" Farouk Ben Abbes embarrasse les autorités françaises, qui ne savent que faire de cet islamiste radical qui les nargue. (...) Ce Belgo-Tunisien est en effet l'un des islamistes radicaux les plus surveillés de France, en raison notamment de ses liens avec les frères Fabien et Jean-Michel Clain qui ont revendiqué au nom de Daesh les attentats de Paris.

Cité dans plusieurs dossiers de terrorisme, dont l'attentat du Caire qui, en février 2009, a coûté la vie à une jeune Française de 17 ans, Ben Abbes n'est aujourd'hui poursuivi que pour des faits de propagande djihadiste. En 2009 pourtant, les autorités égyptiennes le soupçonnaient non seulement d'avoir participé à l'attentat du Caire, mais également de préparer une attaque contre le Bataclan. Le jeune homme faisait également l'objet d'une enquête conjointe menée par la France et la Belgique. Le dossier fut finalement classé trois ans plus tard par le juge d'instruction Christophe Tessier, lequel dirige aujourd'hui l'enquête sur les attentats de Paris. Malaise. (...)

Aujourd'hui, Philippe Cohen-Grillet publie un ouvrage (...) dans lequel il livre une contre-enquête sur ce premier projet d'attentat contre la salle de spectacle.

Dans son ouvrage, l'auteur met en lumière les liens qui unissent Farouk Ben Abbes, les frères Clain ainsi qu'un certain Madhi Maaroufi. C'est ce dernier qui, alors qu'il résidait à Anderlecht en 2003, a présenté Ben Abbes à Fabien Clain. Quelques années plus tard, Ben Abbes rejoindra les frères Clain en Égypte, où il passera six mois en leur compagnie.

Madhi Maaroufi, lui, était très vite apparu sur les radars de la Sûreté de l'État qui le suspectait à l'époque de fomenter un attentat contre un bâtiment de la communauté européenne et le Sheraton. Alors que les autorités belges avaient enquêté avec sérieux sur Maaroufi, la France, elle, aurait complètement sous-estimé sa dangerosité. Maaroufi a depuis disparu de la circulation. Or, c'est lui qui, avec les frères Clain et un certain "Abou Bilal", serait à l'origine de ce premier projet d'attentat contre la salle de spectacle.

(...) Des connexions évidentes à côté desquelles sont passées les autorités judiciaires françaises, estime Philippe Cohen-Grillet. "Bien sûr, on a le droit de faire des erreurs. C'est humain de faire des erreurs. Mais il faut pouvoir les identifier", estime le journaliste, qui déplore le manque de courage des politiques qui, selon lui, ont totalement minimisé les ratés de l'enquête Bataclan I, après les attentats du 13 novembre. "Taubira a menti ! Quant à Cazeneuve, il a assuré qu'il ne connaissait rien à Bataclan I. Or, le dossier ayant été classé sans suite, il avait accès à ces informations."

Devenu proche des parents de Cécile Vannier, la lycéenne tuée dans l'attentat du Caire, le journaliste rapporte que les proches de la jeune fille ont été "tétanisés" lorsqu'ils ont vu apparaître, après le 13 novembre, les mêmes noms que ceux cités dans le dossier du Caire. "Tout était dans le dossier."

RTBF, La Première (Belgique), 13 octobre 2016

Face à l'info

par Eddy Caekelberghs

 

À écouter ici.

L'Écho (Belgique), 13 octobre 2016

Bruxelles a tuyauté Paris sur le Bataclan

par Jean-Paul Bombaerts

 

Le journaliste d'investigation Philippe Cohen-Grillet démonte la thèse française qui charge la Belgique pour les attentats de Paris.

 

Les Belges ont-ils, par leur incompétence, permis les attentats de Paris? "Faux et insultant", nous répond Philippe Cohen-Grillet, journaliste au Canard enchaîné, dans un livre où il épingle au contraire les manquements de la Justice française qui "était au courant des menaces contre le Bataclan depuis 2009".

Personne n'a oublié l'intervention sur Europe 1 d'Alain Marsaud, député du parti Les Républicains, au lendemain des attentats de Paris. "Les 130 morts de Paris, nous les devons aux Belges", avait-il lancé, décrivant la Belgique comme une plaque tournante du djihadisme européen. Ces attaques, reprises par bien d'autres voix outre-Quiévrain, avaient singulièrement tendu les relations, d'ordinaire amicales, entre la France et la Belgique.

Philippe Cohen-Grillet montre, à partir des dossiers qu'il a pu consulter, que dès 2009, de l'information essentielle était remontée de la Belgique vers la France. (...)

L'intégralité des pièces jugées utiles et pertinentes a été transmise à la France, soit quelque 6.000 pages de rapports, synthèses, analyses, auditions, écoutes téléphoniques, interceptions de mails, comptes et mouvements bancaires établis et recueillis par les autorités belges qui surveillaient Ben Abbes depuis 2006 déjà. "Un échange d'informations gigantesque", résume Cohen-Grillet.

Sa conclusion est sans appel: les services et la Justice française ont "une responsabilité écrasante" dans les attentats de Paris qui sont, à ses yeux, le résultat "d'un incroyable désastre policier, judiciaire et politique".

S'il fallait reprocher quelque chose aux Belges, selon lui, c'est "une sous-estimation de la dangerosité de certains profils".

Fabien et Jean-Michel Clain, par exemple, avaient été identifiés par la Sûreté de l'Etat dès 2003, bien avant que les Français ne s'intéressent à ces deux frères impliqués dans la filière d'Artigat. Ce réseau, auquel appartenait aussi Mohammed Merah, envoyait des combattants en Irak. "On les a laissés se balader et constituer d'autres réseaux. Même s'il est facile rétrospectivement de pointer les insuffisances, il s'agissait de profils pour lesquels tous les voyants étaient clairement au rouge."

Bien sûr, tout est une question de moyens, admet le journaliste d'investigation. "Pas moins de 324 dossiers terroristes sont actuellement ouverts auprès du parquet de Paris et répartis entre 13 juges d'instruction. Ce qui fait pour chaque juge 25 dossiers, dont certains font des milliers de pages. Il est humainement impossible de faire face à une telle masse de travail. Les juges d'instruction sont tout simplement submergés."

L'autre écueil, c'est le partage de l'information services de renseignements nationaux. "C'est toujours très compliqué car ce n'est pas dans la culture des services de renseignement." Il note toutefois que des policiers français étaient présents sur les lieux au moment de l'arrestation de Salah Abdeslam, le 18 mars dernier à Molenbeek.

Enfin, Philippe Cohen-Grillet pose la question des soutiens dont ont pu bénéficier les auteurs des attentats du Caire, de Paris et de Bruxelles. "La Belgique a été une base arrière logistique. Et c'est à Bruxelles que sont nés certains membres du réseau."

Mais cela n'explique pas tout, selon lui. "Il n'y a pas que Bruxelles. Monter de tels attentats nécessite des structures lourdes, des moyens financiers et logistiques considérables. D'où vient l'argent? D'où viennent les armes? Nous n'avons pas encore les réponses à ces questions. Or ces réponses, nous les devons aux familles des victimes."

BX1 (Belgique), 12 octobre 2016

#M

 

Philippe Cohen-Grillet sur le plateau du magazine #M (à partir de la 18e min.).

La Libre Belgique, 12 octobre 2016

L'enquête sur le Bataclan qui aurait dû aboutir

par Christophe Lamfalussy

 

Philippe Cohen-Grillet publie sa contre-enquête sur un projet d’attentat, conçu dès 2009, contre la salle parisienne. La justice française a classé l’affaire en 2012.

 

Le nom de Farouk Ben Abbes, un Belgo-Tunisien assigné à résidence à Toulouse, n’évoque pas grand chose dans l’opinion publique belge. Celui des frères Clain, un peu plus, car c’est eux qui ont revendiqué, en chanson, les attentats de Paris. Il y aussi Dude Hoxha, Farid Benladghem ou encore Mahdi Maaroufi. Tous ont la particularité de faire partie de la djihadosphère franco-belge et d’avoir été impliqués, de près ou de loin, le 22 février 2009 dans l’attentat qui a coûté la vie au Caire à une jeune Française de dix-sept ans, Cécile Vannier.

Depuis plusieurs mois, le journaliste Philippe Cohen-Grillet ne lâche pas le morceau : il est convaincu que cette cellule, mobilisée à l’époque dans la bande de Gaza pour le compte de l’Armée de l’islam, avait aussi dès 2009 dans son viseur le Bataclan de Paris. Il l’écrit avec beaucoup de conviction et l’appui de documents confidentiels dans un livre qu’il vient de publier chez Plein Jour à Paris : “Nos années de plomb”. 

Or Farouk Ben Abbes a bénéficié d’un non-lieu dans cette affaire en 2012, et le juge qui a pris cette décision, estimant qu’il n’avait pas assez de preuves, n’est autre que Christophe Teissier, le patron de l’enquête sur les attentats de Paris. 

Né à Uccle en 1985, naturalisé Belge deux ans plus tard, Ben Abbes est apparu dans les viseurs de la justice franco-belge en 2006 dans la filière de djihadistes vers l’Irak, dite “Artigat”, du nom du village où sévit son gourou d’origine syrienne, Olivier Corel. Il réapparaît dans ce dossier égyptien en 2009. Arrêté au Caire, il affirme - sous la torture, dit-il - qu’il prépare un attentat contre le Bataclan à Paris. Motif : cette salle a accueilli des soirées organisées en soutien au MAGAV, la police israélienne des frontières. 

De leur côté, les policiers et juges belges ont bien travaillé, et fourni à leurs consorts français d’épais dossiers, auxquels Philippe Cohen-Grillet a eu accès.

(...) Mais l’enquête française sur cet éventuel projet d’attentat au Bataclan conclura en 2012, après trois ans d’enquête, à un non-lieu. (...)

Le journaliste épingle aussi « le monumental fiasco judiciaro-policier qui a permis aux frères Clain de baguenauder à leur guise dans l’Hexagone durant trois ans, de 2012 à 2015, avant qu’ils ne parviennent à mettre les voiles pour la Syrie, d’où ils se sont pourléchés du bain de sang du 13 novembre dans leur message de revendication ». 

Il ajoute : « Je me refuse à réécrire l’histoire et je ne m’aventurai pas à affirmer que les attentats du 13 novembre, notamment le bain de sang du Bataclan, auraient pu être évités. Il est en revanche patent et indiscutable que les investigations menées entre mai 2009 et septembre 2012 n’ont pas été à la hauteur de la menace, bien réelle que constituait ce projet terroriste ». 

(...) L’auteur a écrit ce livre pour Cécile Vannier et pour ses parents. Il estime que les victimes du terrorisme ont droit à plus de transparence en France. “La guerre contre le terrorisme a besoin du secret”, admet le journaliste qui a collaboré à Paris-Match, au Figaro, au Canard Enchaîné et à Médiapart. “Mais lorsqu’il a des erreurs sur des éléments du passé, on doit pouvoir reprendre”. L’enquête sur l’attentat du Caire (24 000 pages) n’est toujours pas clôturée tandis que le dossier du Bataclan (6000 pages) est “consultable” par les juges chargés des attentats de Paris.

Paris Match, 6 octobre 2016

Le livre de la semaine

par Alfred de Montesquiou

 

"Le problème des dossiers terroristes, c'est que ce sont des affaires d'État, alors que la justice est foncièrement faite pour juger des conducteurs avinés", affirme Philippe Cohen-Grillet. Journaliste spécialisé, enquêteur obstiné, ce collaborateur occasionnel de Paris Match s'est plongé depuis 2009 dans l'enquête sur l'attentat islamiste du Caire qui coûta la vie à une jeune Française de 17 ans. À l'aune des récentes tueries djihadistes, l'affaire du Caire peut paraître presque oubliée. Sauf pour Philippe Cohen-Grillet, qui n'a cessé de côtoyer les familles de victimes, les avocats, policiers, espions et juges pour mettre au jour ce qu'il considère comme un terrible 'loupé' des autorités françaises : le fait que plusieurs acolytes des tueurs de 2009 visaient déjà le Bataclan et qu'ils ont, par la suite, fort probablement orienté ou du moins inspiré la boucherie du 13 novembre. (...)

Causette, octobre 2016

Le silence des autorités

propos recueillis par Aurélia Blanc et Virginie Roels

 

Dans Nos années de plomb, Philippe Cohen-Grillet répond à plusieurs questions essentielles sur l'attentat meurtrier du 13 novembre 2015 au Bataclan : les autorités, la justice, les services de renseignement disposaient-ils de suffisamment d'informations pour en conclure que la salle de spectacle était menacée ?

 

Existe-t-il des preuves sérieuses de menaces contre le Bataclan avant les attentats ?

Il y a des preuves matérielles : une Française, Dude Hoxha, mise en examen dans l'attentat du Caire qui, en 2009, coûta la vie à une lycéenne française, a tenu un journal pendant sa détention en Égypte. Elle y raconte sa discussion avec la femme du chef de L'Armée de l'islam (branche d'Al-Qaida à Gaza). Celle-ci lui dit qu'il faut frapper le Bataclan, car les propriétaires sont juifs. Dude Hoxha sera expulsée d'Égypte, puis arrêtée à son retour en France. Son journal sera saisi et versé à la procédure sur l'attentat du Caire.

 

D'autres preuves de menaces ?

Le 6 mai 2009, un PV des services de renseignement est versé à la procédure. Il y est écrit que Farouk Ben Abbes, Belge de 31 ans, interrogé en Egypte, car soupçonné d'être impliqué dans l'attentat du Caire, aurait avoué qu'il avait un projet d'attentat contre le Bataclan. En 2010, en France, une instruction est ouverte pour projet d'attentat contre le Bataclan. Elle sera ponctuée de graves erreurs et Ben Abbes, revenu en France et incarcéré, sera remis en liberté. Elle aboutira à un non-lieu en 2012 pour insuffisance de charge. Aujourd'hui, la police explique que c'est la faute des Égyptiens qui n'ont pas donné d'éléments, les aveux de Ben Abbes auraient été obtenus sous la torture, omettant de parler du journal intime qui, lui, n'a pas été écrit sous la torture.

 

Existe-t-il une connexion entre Farouk Ben Abbes et les terroristes du 13 novembre ?

Il est attesté que Ben Abbes connaît Fabien Clain dont il est un ami proche depuis 2004, Fabien Clain qui revendiquera l'attentat du Bataclan. (...)

 

Aujourd'hui, les autorités reconnaissent-elles le lien ?

Le 7 mars 2016, devant la commission d'enquête parlementaire sur les attentats du Bataclan, le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, déclare n'avoir "vu aucune note témoignant d'une menace particulière sur le Bataclan (...)". Le 19 juillet 2016, il prend pourtant un arrêté d'expulsion contre Farouk Ben Abbes "considérant (...) qu'il a été interpellé le 3 avril 2009 au Caire (...) ; qu'à cette occasion, il a confirmé l'existence d'un projet d'attaque terroriste visant une cible juive en France et notamment la salle de spectacle du Bataclan (...)".

 

Si ces menaces avaient été connues, qu'est-ce que cela aurait changé ?

Je ne me permettrais pas de dire qu'on aurait pu éviter les attentats. Je pointe les défaillances d'un système. On a sous-estimé le danger, ces menaces. Cela n'aurait peut-être pas évité l'attaque, mais l'on peut penser qu'il aurait été mis en place une surveillance, il y aurait eu des consignes de sécurité. Votre enquête, comme la mienne, montre que l'on n'a pas pris des mesures adéquates par rapport aux menaces. Quand on se sait menacé, on fait tout pour se protéger.

LCI, 19 septembre 2016

Littérature du réel, enquêtes, essais, histoire.

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