"La voix est libre" à la Foire du Livre de Saint-Louis
À partir de 41 mn 30 s, Paulina Dalmayer parle de son livre et du journalisme littéraire, en présence de Sibylle Grimbert, Laure Adler et Jacques Lindecker.
La meilleure des pires morts...
par Clémence Dellangnol
Allongée dans son lit, Marisa chantonne à l'adresse de son fils : « Ciao amore, aaa... » Terrassé par l'émotion, son ex-mari s'effondre. A côte d'eux, l'anesthésiste installe la perfusion : 15 grammes de barbituriques - une dose létale. « Puis Marisa ouvre le robinet de la perfusion, pousse un soupir profond, serre plus fort son tigre en peluche. » Quinze minutes plus tard, la police est là. Venue constater le décès de Marisa. Un décès volontaire, orchestré en Suisse par l'association Lifecircle. Agée de 68 ans, Marisa en paraissait dix de plus, épuisée par quatre ans de cancer de l'utérus, des os, une tumeur au cerveau, un arrêt cardiaque. Elle avait accepté de laisser la journaliste et écrivain Paulma Dalmayer assister à son suicide assisté. C'est sur cette expérience troublante que l'auteure, Polonaise installée à Paris, conclut sa volumineuse enquête sur l'euthanasie Je vous tiendrai la main. Une enquête amorcée «encombrée de certitudes», et conclue «en cahotant», qui a conduit Paulma Dalmayer auprès des partisans comme des opposants à l'eu- thanasie, en France, en Belgique et en Suisse. Sur un sujet si délicat, le choix de la première personne pour retracer rencontres et recherches apparaît par- ticulièrement judicieux : lui seul permet de sortir de la pensée binaire, de mettre en lumière tout ce que le sujet remue de croyances, peurs et incerti- tudes en chacun. (...) La conclusion de Paulma Dalmayer après cette immersion ? L'aide active à mourir et les soins palliatifs ne sont, contrairement à ce que croient nombre de leurs zélateurs, « nullement exclusifs ou incompatibles » mais « complémentaires ». « Après avoir suivi pas à pas le déroulement d'un suicide assisté, écrit-elle, je doute que cette façon de mourir soit aussi "douce et paisible" que l'espèrent beaucoup de ceux qui souffrent. Mais cela reste, en toute hypothèse, la meilleure des pires morts possibles. » A chacun de se faire sa propre opinion, à la lumière d'un ouvrage partisan, mais honnête et nuancé.
Le 12 h 30
Paulina Dalmayer était l'invitée du journal de 12 h 30 de la radio publique suisse. À écouter ici.
Thanatos sans pathos
par Roland Jaccard
Bruno Bettelheim m’avait raconté cette blague, plus amère que drôle : deux juifs se rencontrent à Berlin et demandent des nouvelles d’un troisième. Le premier dit : « Il s’est jeté par la fenêtre parce que la Gestapo arrivait chez lui », et l’autre répond : « Ma foi, s’il avait trouvé le moyen d’améliorer la situation... »
Le 13 mars 1990, le jour anniversaire de l’Anschluss, Bruno Bettelheim « améliorait » sa situation : il était âgé de 86 ans, en excellente santé de surcroît, lorsqu’il s’auto-asphyxia en se couvrant la tête d’un sac en plastique. Ironiquement, le médecin qui lui avait promis son aide était mort peu avant. D’une crise cardiaque. Quand on lui demandait ce qu’il pensait de la vieillesse, Bettelheim répondait : « N’y arrivez surtout pas ! » (...)
Le père de Paulina Dalmayer avait la passion des cimetières. Une passion que d’aucuns qualifiaient de morbide. Et puis, un jour, sa fille l’a découvert mort sur la cuvette des toilettes. « Est-il mort dans la dignité ? » s’est-elle demandé. Et d’ailleurs, qu’est- ce que cela veut dire, « mourir dans la dignité » ? Du coup, elle s’est lancée dans une enquête minutieuse sur les fins de vie en Belgique et en Suisse, notamment. Son livre Je vous tiendrai la main est le meilleur document à ce jour sur la pratique du suicide assisté. L’auteur s’y implique avec une retenue et une honnêteté qui forcent l’admiration. Et elle nous livre les confidences et les réflexions des deux pionniers en la matière, Ludwig Minelli, président de Dignitas, et Jérôme Sobel, président d’Exit. Il semble aller de soi, pour l’un comme pour l’autre, que le fait de dire : « Je veux partir maintenant, en finir avec cette vie ! » est un droit de l’homme. « C’est à chacun de déterminer s’il a une qualité de vie suffisante ou non... », précise le docteur Sobel. Il est d’ailleurs troublant que l’avortement, qui engage une autre vie, soit considéré en France comme un acquis, alors que l’euthanasie, qui ne concerne que le suicidaire, est soumise à de telles restrictions. « La situation idéale serait que toute la planète ait les mêmes règles que la Suisse : liberté totale, responsabilité des associations qui travaillent sur le terrain, et voilà, cela suffit ! » assène Ludwig Minelli.
Sur ce thème, je ne saurais assez conseiller l’essai de Jean Améry, Porter la main sur soi (Actes Sud). Jean Améry, né dans l’Empire austro-hongrois en 1912, de son vrai nom Hans Mayer (germanisation de son nom juif, Chaïm), se donnera la mort le 17 octobre 1978 à Salzbourg. Il a été frappé par le paradoxe suivant : d’un côté, la froide indifférence de la société envers les hommes ; de l’autre, la sollicitude cruelle dont elle les entoure dès lors qu’ils s’apprêtent à quitter volontairement la fédération des vivants. Ce qui pose une fois de plus la question : à qui l’homme appartient-il ? À Dieu ? À la société ? À lui-même ? Et si notre liberté passe par la mort volontaire, de quel droit s’y opposer ? Certes, la logique vitale nous est prescrite ou, si l’on préfère, elle est programmée dans toutes les réactions de notre vie quotidienne. Elle est d’ailleurs passée dans la langue de tous les jours : « Il faut bien vivre », disent les gens comme pour s’excuser de toutes ces petites misères qui sont leur œuvre. Mais, demande Jean Améry : « Faut-il vraiment vivre ? » Faut-il vraiment être là, du seul fait qu’on est là ? Le suicide est un désaveu, légitime, de la logique vitale. En ce sens, le suicidaire est le seul vrai marginal. À la différence du contestataire, ce qu’il rejette, ce n’est pas uniquement telle ou telle forme d’oppression sociale. Ce n’est pas non plus la logique de la procréation, mais bel et bien la logique même de l’existence. À moins que, comme mon ami Roland Topor, il soit convaincu qu’un suicide réussi vaut mieux qu’un coït raté...
La mort en face ?
par Paul Thibaud
Le livre de Paulina Dalmayer instruit et prend aux tripes. Cependant, je m’y sens un peu à l’étroit : il tend à réduire la mort à son aspect organique, en oubliant qu’elle est au cœur de la condition humaine.
On ne sort pas indemne du voyage où nous entraîne Paulina Dalmayer dans la sorte d’archipel que forment les gens pour qui la fin de vie est une préoccupation obsédante ou une expérience plus ou moins risquée. Bien que mortels, nous avons quant à nous d’autres choses à faire et à penser. Soins palliatifs, aide au suicide, sédation profonde : ces « sujets d’actualité » soulèvent pourtant des questions vertigineuses – que vaut la vie, qu’est-ce qui fait sa qualité, comment sortir des contradictions d’un activisme technique nécessairement producteur (aussi) d’échecs, comment combattre la tentation latente de faire disparaître ces échecs qui, dans le cas de la médecine, sont des êtres humains ? (...)
Paulina Dalmayer s’implique dans son enquête avec une ardeur qui agace parfois mais qui, en provoquant le lecteur, maintient son intérêt. Je vous tiendrai la main est un empilement fascinant et foisonnant de portraits, d’interviews et de notes de voyage. Portraits parfois sarcastiques comme celui de la grande bourgeoise narcissique qui fait la propagande d’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), ou bien discrètement admiratifs comme à l’égard de l’animatrice suisse de Lifecircle. Acteurs patentés du débat public ou, plus émouvants, acteurs de terrain et soignants, ces figures, en s’emboîtant ou en s’opposant, nous éclairent souvent plus que l’affrontement des thèses.
Tout en soulignant parfois ses doutes, Paulina Dalmayer est trop passionnée pour être neutre. Elle ne tient pas toujours la balance égale, écartant a priori certains acteurs du débat – Chantal Delsol, Emmanuel Hirsch ou Marie de Hennezel. Plus agaçant, elle se laisse parfois, mais pas toujours, enfermer dans la fameuse rhétorique des « avancées » et des « reculs », cette philosophie de tapis roulant où s’abrite la paresse contemporaine. Enfin (à cause de son âge ou de son époque ?), une agressivité antireligieuse émane de tout le texte.
(...) Alain Finkielkraut s’indigne (après Kundera) qu’on accorde à un chien « la mort douce que l’on refuse à beaucoup d’entre nous », mais le rapport à la vie et à la mort est-il le même chez l’animal et chez l’homme ? La mort n’est pas seulement le dernier moment de notre vie, mais aussi le point d’où une vie humaine apparaît diffé- remment. Pour ma part, j’ai vis-à-vis de la mort, de ma mort, une trop grande curiosité pour l’aplatir dans un projet aussi pauvre que l’euthanasie. « Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau », cette admirable fin du Voyage de Baudelaire, je la rapproche du cri de saint Paul : « Mort, où est ta victoire ? » Deux façons de nous dire que la mort n’est pas le prédateur ultime – qu’elle n’emporte pas la vie humaine dans le néant, mais qu’elle la transforme en destin. Et si « philosopher, c’est apprendre à mourir », nous avons le devoir de faire place dans notre vie même au point de vue de la mort. (...)
Je vous tiendrai la main
par Miss Purple
(...) J'ai beaucoup aimé cette enquête de Paulina Delmayer parce qu'elle ne fait que relater une réalité, elle ne donne jamais son opinion (bien qu'elle nous livre tout de même son ressenti, et
heureusement !), elle ne juge personne. Elle se contente de nous conduire simplement à la réflexion. J'ai apprécié son travail d'investigation avec les différents entretiens qu'elle a tout au long du
récit avec de nombreux acteurs de la lutte pour ou contre la pratique de l'euthanasie. Ce livre est très riche en informations.
Il est aussi riche en rencontres plus ou moins farfelues, nous faisons la connaissance de plusieurs militants, de médecins qui pratiquent ou non l'euthanasie. On apprend aussi quelles sont les
pratiques dans les pays voisins, en particulier en Suisse et en Belgique. J'ai découvert tout un univers que je ne connaissais pas. J'ai attaqué ma lecture avec une position bien arrêtée et au final,
Paulina Dalmayer m'a aidée à changer un peu ma vision des choses.
De plus, ce livre est tombé à pic puisque pendant ma lecture, notre gouvernement était en train de se pencher sur l'épineuse question de la sédation profonde en phase terminale jusqu'au décès. Cet
ouvrage m'a permis de mieux comprendre le débat, c'était vraiment parfait. Ce n'est pas pénible à lire comme on pourrait peut-être le croire, l'auteure a une écriture fluide et légère au final, les
informations passent très bien. Inutile de devoir relire plusieurs fois une phrase pour saisir la notion qu'elle nous explique.
Enfin, je terminerai en faisant allusion à l'histoire de Marisa qui se trouve à la fin de livre. J'ai été extrêmement touchée par le récit qu'en fait l'auteure. Je dois avouer avoir eu les larmes aux
yeux en lisant ces dernières pages. Il est certain que cette lecture va laisser des traces dans mon esprit, on n'en ressort pas indemne. C'est aussi ça le plaisir de lire ...
Une claque, une réflexion sur la vie au final ...