Affaires Sensibles
Par Fabrice Drouelle
The Grim Sleeper - Le faucheur en embuscade 1985-2007, à écouter ici.
Comment un serial killer a-t-il pu tuer impunément pendant 30 ans à Los Angeles ?
Par Jacky Goldberg
Dans Black-Out, la journaliste Cécile Delarue revient sur une affaire méconnue de serial killer qui, des années 1980 à 2010, tua impunément dans le ghetto noir de South Central, à Los Angeles, avant d'être arrêté grâce à une part de pizza.
Obscurcissement total d’une ville : c’est cela, en premier lieu, un black-out. C’est aussi par extension, le silence observé par des gouvernants sur un sujet sensible. C’est enfin, pris mot à mot, littéralement : le noir dehors. Cette polysémie convient on ne peut mieux au premier livre de Cécile Delarue : une sale histoire d’obscurité, de silence et d’exclusion dans la communauté afro-américaine de Los Angeles.
La journaliste française (qui travailla pour France 2, TF1, 13e Rue, BFM, avant de se tourner vers la presse écrite) y revient ainsi sur une affaire criminelle qu’elle couvrit une première fois en 2010 lorsqu’elle venait de s’installer dans la mégalopole californienne — son premier papier en tant que correspondante, pour Grazia. Elle y détaillait la façon dont une journaliste locale (Christine Pelisek) avait mis la pression sur le LAPD, afin qu’ils enquêtent sérieusement sur un serial killer qui sévissait depuis plus de trente ans à South Central, avec un compteur de victimes approchant la quinzaine. L’assassin serait bientôt derrière les barreaux, grâce à une trace ADN laissée sur une part de pizza… Mais une question demeurait : comment Lonnie Frankie Jr., alias The Grim Sleeper comme il avait été surnommé par la presse locale — le dormeur lugubre, car pendant quinze ans, de 1988 à 2002, il s’était interrompu, comme en hibernation — avait-il pu échapper si longtemps à la police ?
Une enquête à la première personne, centrée sur les victimes
C’est donc la première question posée par Cécile Delarue, et de celle-ci en découlent cent autres. Mais plutôt que d’écrire l’énième portrait d’un assassin pour, comme elle ironise lorsque nous la rencontrons à Los Angeles, "se faire peur, explorer les plus sombres penchants de l’humanité, se laisser aller à la sempiternelle fascination pour le mal", elle préfère tirer le portrait d’une société : à travers l’enquête, à travers le destin des victimes et, plus étonnamment, à travers elle-même, dans toute sa subjectivité. C’est en effet la première chose qui frappe, et séduit, à la lecture de Black-Out : un récit à la première personne, mêlant aux faits journalistiques des épisodes plus personnels, par petites touches, tels que son emménagement à Los Angeles, sa grossesse (qui lui permet de gagner la confiance de certains témoins), les articles qu’on lui commande, ou encore les films qu’elle voit et qui nourrissent son imaginaire — et fatalement le nôtre.
Cette démarche, "plus courante aux Etats-Unis où les journalistes disent facilement 'je' sans pour autant trahir les faits", offre une couche d’analyse supplémentaire, par exemple lorsqu’elle explique ce que ça lui fait d’enquêter, elle la jeune française, blanche aux yeux bleus, nourrie des mythes républicains et universalistes, dans un lieu aussi pernicieusement ségrégué que Los Angeles. "Je préférais assumer ce décalage, cette part de naïveté, la questionner, plutôt que d’en faire un point aveugle". Dans le livre, elle évoque le "white guilt", cette "culpabilité blanche". "Ce sentiment de honte qui accompagne partout le Blanc libéral, de gauche, et qui peut le pousser à surcompenser de manière excessive." Ainsi, sans évacuer la dimension raciale de l’affaire, la journaliste y réintroduit de l’économique, du social, rappelle qu’avant d’être noires, les victimes sont pauvres ; ou bien que la police, déplumée par les ajustements néo-libéraux successifs, est en sous-effectif chronique, et donc moins à même d’accomplir sa mission, de surcroît là d’où les impôts ne remontent pas. "C’est avant tout le contribuable qui est raciste", rappelle-t-elle.
Un précis de sociologie urbaine derrière le polar
Moins une enquête policière qu’un précis de sociologie urbaine (comme tout bon polar, pourrait-on dire), Black-Out nous plonge donc dans le ghetto afro-américain (et de plus en plus latino) qu’est South Central, laminé par des décennies de ségrégation, de pauvreté, de guerre des gangs, d’émeutes (celles de 1992, fameuses, démarrèrent exactement là), de violences policières, et d’addiction au crack. Et sans surprise, c’est dans cette litanie de fléaux que se trouve la réponse à la question initiale : le black-out qui a permis au Grim Sleeper de tuer à peu près impunément toutes ces années, se fait d’abord par la relégation d’un quartier et de sa population hors des radars de la justice sociale. "On discourt à n’en plus finir sur le meurtre de Sharon Tate […] qui a eu lieu il y a si longtemps maintenant, 1969. On noircit des pages et des pages depuis soixante-dix ans sur le Black Dahlia […]. Mais personne ne parle, ou presque, de cette centaine de femmes, assassinées, violées souvent aussi, dans les rues de cette même ville […] Si elles avaient été blanches et avaient vécu à Beverly Hills, elles auraient fait la une des journaux, et leur assassin aurait été retrouvé dans la semaine", écrit Cécile Delarue. Mais des femmes noires tuées par des hommes noirs dans un quartier noir, pensez-vous…
Pour comprendre, il lui aura donc fallu repartir des individus, enquêteurs et victimes, rassembler les fragments et les inscrire dans un système, recomposer pièce par pièce le puzzle qui a permis, passivement, une telle abjection — et dont rien ne garantit qu’il ne pourrait à nouveau le permettre. Les meilleures pages du livre sont celles qui donnent la parole à l’une des survivantes, Enetria Washington, laissée pour morte en 1988, miraculeusement sauvée mais condamnée dès lors à vivre avec la conscience que son agresseur traverse les mêmes rues qu’elle, fait ses courses aux mêmes endroits, sait peut-être où elle habite, où sa fille va à l’école… Même après son arrestation, en 2010, elle peine à croire qu’il est en prison, pense que tout ça, l’enquête, le procès, la condamnation à mort, est une mascarade. "Elle n’a même pas le soulagement que justice soit faite, elle se le refuse", nous confie, dépitée, l’auteure. Grâce à elle, au moins, cette histoire, leur histoire, n’est plus oubliée.
Pistes Noires
Par Fabrice Drouelle
Le chroniqueur Benoît Puichard parle de "Black-out", à regarder ici, à partir de 10'30,
"C'est passionnant."
Les Matins de TSF Jazz
Par Laure Albernhe
La chronique de Laure Albernhe à écouter ici, à partir de 5'25
"C'est un livre qu'on dévore comme un polar."
Rentrée littéraire : « Black-out », un livre de Cécile Delarue
Par Mathilde Ciulla
Sous la forme d’une enquête qui mêle des réflexions personnelles et intimes, Cécile Delarue nous fait entrer dans la réalité de la vie d’un quartier défavorisé de Los Angeles dans les années 1980 : des femmes noires meurent et leur coupable n’est pas arrêté.
Cécile Delarue est une journaliste française, qui vit désormais à Los Angeles depuis plusieurs années. C’est à travers ses yeux d’étrangère qu’elle a découvert la ville, qu’elle a appris à y vivre. À plusieurs années d’intervalle, elle revient sur un même fait divers qui lui avait glacé le sang : des dizaines de femmes noires assassinées et violées, dont le tueur n’a été arrêté que bien des années plus tard. Cécile Delarue décide alors de revenir sur l’affaire qui a été appelée celle du « Grim Sleeper ».
Quand elle arrive à Los Angeles en 2010, Lonnie Franklin Jr vient d’être arrêté, pour les meurtres d’au moins dix-sept femmes, entre 1985 et 2007. Cécile Delarue se rend directement dans le quartier de South Central, un quartier noir et pauvre, dans lequel le « Grim Sleeper » a vécu toute sa vie. Mais la jeune journaliste ne nous raconte pas la vie de cet homme marié et père, elle ne nous fait pas entrer dans son intimité pour essayer de trouver une raison à cette frénésie meurtrière : elle s’intéresse aux victimes, à ces jeunes femmes et à leur famille qui n’ont eu droit à une explication que longtemps après la perte d’un être cher.
Cécile Delarue rencontre donc des familles de victimes, cherche à comprendre pourquoi elles n’ont pas réellement été tenues informées de l’avancée de l’enquête, pourquoi le quartier n’a jamais su que rôdaient plusieurs tueurs en série dans les années 1980-1990, qui s’attaquaient aux femmes noires et seules dans la rue le soir. « Toutes tuées à South Central. Toutes assassinées, puis abandonnées, à moitié dévêtues ou rhabillées à la va-vite, dans des allées sales et obscures, souvent dans des bennes. Toutes noires. » Sorte de journal intime qui nous fait entrer dans la tête de la journaliste, Black-out nous pousse à nous interroger sur les priorités et les choix politiques qui sont faits dans le traitement des faits divers.
En même temps qu’elle rencontre des proches de victimes, Cécile Delarue s’intéresse aussi aux autres protagonistes de l’affaire : elle réussit à approcher certains des policiers qui ont tenté de rendre justice à toutes ces femmes, la magistrate qui a instruit l’affaire du « Grim Sleeper » accepte finalement de lui parler, et elle rencontre même une des survivantes de ce tueur en série. Et au fil de ses conversations, la journaliste se rend compte d’un racisme généralisé dans la société américaine, et qui semble aussi avoir cours au sein même de la police. « Black et Out. Comme si on disait aussi « Dehors les Noirs ». Comme si la femme noire devait disparaître. » Le quartier de South Central est en grande majorité peuplé de familles noires et pauvres, ce qui explique sans doute que le tueur ait pu sévir dans un même périmètre pendant plus de vingt ans…
Cécile Delarue propose avec Black-out un travail remarquable, un récit riche entre le journalisme et les réflexions personnelles, qui n’accuse personne tout en mettant le doigt sur des problèmes structurels et sociétaux qui excluent toute une partie de la population de l’american dream. Faits divers qui ne tombe jamais dans la fascination pour les détails sordides et la psychologie d’un être foncièrement mauvais, l’enquête de la journaliste indépendante montre à quel point il ne fait pas bon être femme, noire et pauvre aux Etats-Unis.
« Des monstres, des serial killers, à South LA, dans les années 1980-1990, il y en avait trois en fait : le crack, les gangs, et les prédateurs sexuels. » Dans un style simple, à la limite de l’oral parfois, mais très agréable à lire, Cécile Delarue raconte à merveille la société américaine et ses lignes de division entre Blancs et Noirs, riches et pauvres.
L'avez-vous repérée ?
Par Nathalie Crom
[...]
Rencontre avec les proches des victimes, enquêteurs et autres protagonistes de l'affaire : elle ne néglige aucune source. Et prend la mesure de l'incurie des autorités et de l'indifférence de la société face aux disparitions de ces femmes noires et pauvres. Black-out devient un portrait ténébreux de la ville, déchirée par les inégalités raciales et sociales, "capitale mondiale des hipsters et des tendances bobos" où les laissés-pour-compte vivent et meurent sur les trottoirs sans susciter nul émoi.
Regarde les femmes tomber
Par Antoine Albertini
Comment un tueur en série a-t-il pu sévir dans un quartier de Los Angeles pendant des années ? Avec Black-Out, Cécile Delarue part sur les traces des victimes du Grim Sleeper.
Entre 1985 et 2007, Lonnie Franklin Jr a semé la terreur dans South Central, un quartier déshérité de Los Angeles, assassinant au moins dix jeunes femmes. Il était leur voisin, un homme connu de tous. Comment et pourquoi a-t-il pu agir en toute impunité avant d'être arrêté par les enquêteurs de la division des homicides ? La réponse est simple. Le victimes cumulaient deux handicaps aux yeux d'une police de Los Angeles longtemps gangrenée par le racisme et la corruption : elles étaient noires et en rupture de ban, autant dire qu'elles ne comptaient pas pour grand-chose. Cécile Delarue, journaliste française expatriée dans la Cité des Anges, s'est passionnée pour l'histoire de ces jeunes femmes oubliées, enquêtant de longs mois pour retracer leurs parcours et celui de leur assassin. Elle en tire Black-Out, à la fois enquête rigoureuse et mise en perspective de son métier de reporter, de sa condition de femme blanche aisée dans une ville qui compte au bas mot 34'000 SDF et où les tensions raciales enflamment sporadiquement des quartiers entiers.
Quand le crime révèle les inégalités sociales
La dimension humaine du récit, c'est précisément l'intérêt de ce livre bâti sur de très courts chapitres. Si les faits sont décrits avec précision, Cécile Delarue fait un pas de côté et n'encombre pas sa narration de dates ou d'extraits de procès-verbaux. Son ton libre, dans lequel on sent l'ancienne journaliste de télévision, évoque une discussion à bâtons rompus à la terrasse d'un café, avec une vieille copine spécialiste du crime. Tournures parlées, doutes, monologue intérieur, Black-Out dit aussi la difficulté d'enquêter, les coups de fils restés sans réponse, le coup de pression d'un rendez-vous avorté avec un témoin versatile, les coups de blues d'une maman en passe d'accoucher de son deuxième enfant et qui, pourtant, ne lâche rien de son obsession : vouloir donner la paroles aux victimes. Plus encore, ce livre interroge les questions de race et de privilège avec une honnêteté intellectuelle à saluer. Une réussite qui doit aussi beaucoup aux subtils portraits de flics hantés par les crimes irrésolus et d'Enietra Washington, aujorud'hui grand-mère forte en gueule et seule survivante connue du Grim Sleeper.
Le Grand JT des faits divers
par Gilles Verdez
L'Heure du crime
par Jacques Pradel
"Crimes en série à Los Angeles", à écouter ici
Stéphane Bourgoin, invité en tant que spécialiste des tueurs en série
En quête de police
Par Dominique Simonnot
Enietra Washington avait 30 ans, en 1988, quand le tueur s'est approché d'elle, sortant de sa Ford Pinto orange. Il n'était pas moche, n'avait pas l'air mauvais, il l'a accostée, elle l'a pris pour un pauvre type "un peu déprimé". Il lui a tiré dessus avant de la violer. Elle a rampé. Enietra est l'une des deux seules à avoir survécu à cet homme, qui, dans une poisseuse indifférence, a violé et assassiné 17 femmes de South Central, un quartier chaud et pauvre de Los Angeles. Toutes noires.
Leurs corps ont été retrouvés, bouffés par des chiens, dans des bennes à ordures ou dans des sombres coins. Toutes plus ou moins prostituées et souvent toxico. Voilà qui expliquerait la mollesse
policière à retrouver l'assassin. "Cela ne se serait jamais passé comme ça si c'était arrivé à Beverly Hills", constate simplement Margaret Prescod, militante de la cause noire. "Une
histoire de riches et de pauvres", résume l'auteure, journaliste française.
Au début, elle s'était contentée de suivre sa consoeur, Christine Pelisek, qui avait révélé le peu d'intérêt des flics pour l'affaire. "La blonde et le tueur", c'était le titre de son article dans "Grazia". Mais, mais... s'est-elle rendu compte, avec honte, elle avait "oublié les victimes" ? Revenue à L.A., elle a poursuivi l'enquête, a rencontré de bons et de (très) mauvais policiers. Et, bien sûr, les parents, qui lui ont confié, si tristement, leur dégoût et leur résignation.
Blonde et blanche, Cécile Delarue s'et aussi heurtée à la méfiance et à ce dogme inquiétant qui veut aujourd'hui qu'il faille être noire pour causer des Noirs, juive pour s'intéresser aux Juifs ou mère pour oser se pencher sur l'éducation des marmots. Elle a tenu bon.
Surnommée "the Grim Sleeper" ("le dormeur lugubre"), le salaud vivait à quelques mètres du lieu où il avait attaqué Enietra. Tranquille, il a continué de tuer et n'a été arrêté qu'en 2010.
Les disparues de South Central, une justice à deux vitesses
Par Macha Séry
Cécile Delarue raconte les assassinats de prostituées noires , dans le quartier le plus déshérité de Los Angeles, et livre une réflexion sur la dimension sociopolitique de ces atroces faits divers.
Le tueur américain Lonnie Franklin Jr est surnommé le « Grim Sleeper » (« le dormeur lugubre »), parce qu’il a mis en sommeil son activité criminelle pendant plusieurs années. Il a été arrêté en 2010, l’année où la journaliste française Cécile Delarue emménagea en Californie et lui consacra un documentaire. Alors qu’il sévissait depuis 1985, l’existence d’un tueur en série abandonnant des cadavres dans des ruelles malfamées ou des bennes à ordures n’avait été révélée que deux ans auparavant par le Los Angeles Times grâce à l’indiscrétion d’un médecin légiste.
Lonnie Franklin Jr a plaidé non-coupable et refusé de s’exprimer. Il a versé des larmes uniquement quand son épouse jalouse a menacé de le quitter quand il a reçu en prison la visite d’une blonde journaliste. A l’issue de son procès, le mécanicien, père de deux enfants, a été reconnu coupable de dix assassinats. Chez lui ont été retrouvés des photos et documents officiels appartenant à cinq autres femmes, toujours portées disparues.
Cécile Delarue reprend l’affaire là où elle l’avait laissée et poursuit ses investigations auprès de magistrats, de spécialistes du LAPD (Los Angeles Police Department) et des familles des victimes. Etrangement, celles-ci n’ont eu, après l’annonce des décès, quasiment aucun contact avec les enquêteurs. Etant donné le profil des victimes – des jeunes femmes noires âgées de 15 à 35 ans, pour la plupart prostituées –, ils ne se sont guère démenés pour mettre fin à cette série de meurtres, avant que la presse n’alerte l’opinion publique.
Confondu grâce à une part de pizza
Tous les assassinats ont été perpétrés à South Central, le quartier le plus déshérité et criminogène de Los Angeles, où ont éclaté les émeutes de 1992 à la suite du lynchage de Rodney King. Au point que l’activiste Margaret Prescod y a créé l’association Black Coalition Fighting Back Serial Murders, préfigurant le mouvement Black Lives Matter.
« Ces femmes qui sont mortes dans une quasi-indifférence, ce n’est pas parce qu’un pouvoir blanc raciste estimait qu’elles devaient mourir, explique Cécile Delarue. Pas vraiment. C’est plutôt un pouvoir qui se fiche de qui n’est pas blanc et riche. Ce n’est pas que les autres, ceux qui vivent à South Central, ne sont pas humains. C’est qu’ils sont moindres. D’abord parce qu’ils sont noirs. Mais aussi parce qu’ils sont pauvres. Ils ont perdu à la loterie du rêve américain, alors ils n’ont rien à dire. »
Lonnie Franklin Jr a fini par être confondu grâce à une part de pizza balancée dans une poubelle… L’ADN du tueur avait été découvert sur plusieurs victimes mais la base nationale d’empreintes génétiques n’avait fourni jusque-là aucune correspondance. Même insuccès avec les panneaux grand format (billboards) affichant les photos des victimes et offrant 500 000 dollars de récompense.
Grâce aux souvenirs de leurs parents et surtout au témoignage bouleversant d’une rescapée, Cécile Delarue mène une réflexion passionnante sur la dimension sociopolitique de cet atroce fait divers.
La chronique de Juliette Arnaud
par Juliette Arnaud
"Sur les traces d'un tueur en série", à écouter ici
Toutes les vies comptent
Par Anne-Laure Barret
Ce sont des femmes évaporées dans la nuit de Los Angeles. Pendant des années, la police n'a pas fait le lien entre plusieurs disparitions de proies innocentes, tuées à South Central, le quartier déshérité de la ville. Pourtant, un jour de 2010, Lonnie Franklin Jr a été arrêté et toute une sordide bobine s'est dévidée : les corps, jetés dans des contre-allées, ou des bennes à ordures, avaient été abattus à bout portant par cet homme entre 1985 et 2007. Installée en Californie depuis hut ans, la journaliste Cécile Delarue a enquêté sur l'un des pires serial killers de ce coin des États-Unis. Son récit haletant, mené d'une plume nerveuse et délicate, mêle les voix des principaux protagonistes du dossier. Mais le livre, écrit à l'ère des Black Lives Matter, vaut surtout pour toutes ces vies qui sortent de l'ombre : les victimes étaient noires et, si elles avaient été blanches, on aurait mis plus d'ardeur à chercher ce qui leur était arrivé. Debra, Henrietta, Barbara, Janeica et les autres ont désormais un tendre tombeau.
Babel-sur-Seine
par Giulia Fois
"Zoom sur South Central, Los Angeles", À écouter ici à partir de 1h09
Huit ans après l’arrestation du tueur en série américain Lonnie David Franklin Jr, alias Grim Sleeper, Cécile Delarue revient sur cette histoire saisissante et terrifiante, dans son livre Black out, les disparues de South Central, cette fois-ci en prenant l’angle des victimes. Elle nous raconte les détails de son romanquête, à travers ses multiples rencontres avec les acteurs de l’enquête de l’époque.
Cécile Delarue publie un roman haletant
La sortie de son thriller « Black-out. Les disparues de South Central » est l’occasion de retracer le parcours singulier de Cécile Delarue, journaliste indépendante à Los Angeles.
Que de chemin parcouru pour Cécile Delarue depuis son enfance, passée entre Saint-Laurent-Nouan, où elle a grandi, Beaugency, Orléans, et la côte ouest des États-Unis où elle s'est installée !
De Saint-Laurent, elle se rappelle la bibliothèque, qu'elle fréquentait assidûment. À Beaugency, elle a fait une partie de sa scolarité au collège privé. « J'y ai suivi les cours de la section européenne, qui m'ont donné le goût des langues et du voyage », se souvient-elle.
À Orléans, elle a essuyé les bancs du lycée Saint-Charles, avant de poursuivre ses études à Lyon. « Ce qui m'a amenée vers le journalisme, c'est peut-être d'observer mon père qui était correspondant à La Nouvelle République pour la commune de Saint-Laurent, raconte-t-elle. Et d'ajouter, non sans malice, qu'elle a fait ses premières armes comme stagiaire à La République du Centre, il y a maintenant vingt ans.
Depuis, Cécile Delarue a tracé son chemin, travaillant pour France 2 (Complément d'enquête), TF1 (Sept à huit), BFM et 13e Rue , avant de partir en 2010 pour Los Angeles, où elle réalise des reportages et des enquêtes pour la télévision française.
La traque de Grim Sleeper, tueur en série
Dans son premier livre, « Black-out. Les disparues de South Central », écrit en français (elle a aussi à son actif deux livres de cuisine française en anglais), elle retrace la traque de Grim Sleeper, le dernier tueur en série ayant sévi Los Angeles, et s'intéresse aux victimes, à leurs familles et à tous les protagonistes de l'affaire. Si l'ouvrage est avant tout une enquête journalistique, « il se lit comme un roman », précise l'auteure.
Black Out, sur les traces du tueur en série
par Nicolas Gary
Parler des populations pauvres — comprendre, principalement afro-américaines — de Los Angeles n’est pas un sujet porteur. Pas plus quand un tueur en série sévit dans South Central. Ancien quartier avec une communauté vivante, il fut défiguré par le commerce du crack dans les années 80. Enquête entre passé et présent, Black Out de Cecile Delarue fait parler ses victimes.
Pour Cécile Delarue, l’enquête fut un défi, celui d’une journaliste pigiste qui cherchait à concilier le plaisir et le travail. Partie pour Los Angeles avec un homme qu’elle avait rencontré, la journaliste tombe, presque malgré elle, sur un sujet : l’histoire du tueur en série Grim Sleeper.
« Moi, je faisais confiance à la police, maintenant c’est compliqué. Ce n’est pas parce que tu viens d’un autre quartier que ta vie a moins de valeur », lui confiera une proche de victime.
Grim Sleeper, le surnom donné par la presse, quand l’affaire sortira enfin, c’est un croisement entre Grim Reaper — aka La Faucheuse — et le silence dont le tueur fit preuve : plusieurs années durant, il resta en sommeil. Avant de frapper de nouveau.
Comment un quartier, même de super agglomération, peut-il abriter un serial killer sans que la police ne s’en préoccupe outre mesure ? Hollywood ou Berverley Hills, loin du strass et des paillettes, entre désintérêt policier et désespoir des familles, c’est un visage méconnu de la Cité des Anges qui se dessine.
Romanesque, certes, ce récit plonge dans une investigation qui tient du documentaire, avec une approche journalistique constante. Recouper les éléments, interroger les familles de victimes, Cécile Delarue part sur les traces d’un meurtrier qui aura fait 17 victimes. Au moins.
En 2010, quand elle débarque, l'arrestation de Reaper est récente. Mais qu’en est-il de ces femmes mortes sous le coup d’un assassin qui aura sévi entre 1985 et 2007, en toute impunité ? Ce bon voisin, presque prévenant, n’aura jamais attiré l’attention. Il n’est d’ailleurs pas seul : à South Central, on compterait probablement cinq ou six autres meurtriers — comme l’Amérique aime à les redouter.
Récit passionnant, aux accents de polar, Black-out raconte donc les disparues de South Central : avant tout, s’intéresser aux femmes, à la pauvreté qui induit des services de l’ordre négligents. Et les parents, désemparés en apprenant la mort de leur enfant, sans qu’aucun suivi ne soit assuré ni aucune information communiquée.
La mort brutale et violente pour chacune, mais surtout l’étrange cohabitation entre deux mondes qui s’ignorent. Il faut se souvenir également de l’affaire Rodney KIng, qui se déroula dans le quartier, des milliers de blessés, une soixantaine de morts, et des arrestations sans fin.
Plus que la construction d’un texte, c’est la consternation qui saisit le lecteur. Et pourtant l’on sait depuis bien longtemps que, selon qu’on soit puissant ou misérable, les jugements de cour nous font blanc ou noir. Les quartiers de LA aussi. Avec plus de conséquences encore.
Enquêter dans les rues de L.A.
par Juliette Serfati
Combien sont-elles et surtout qui sont-elles, ces femmes noires vivant à South Central, à Los Angeles, tuées à bout portant puis jetées dans des poubelles par "un homme, un père, un voisin". Noir lui aussi ? Lonnie Franklin Jr, surnommé Grim Sleeper, fut arrêté au moment même où l'auteure, journaliste, passionnée de faits divers débarquait dans la Cité des Anges. Le récit est celui de sa minutieuse enquête auprès des familles des victimes, des policiers chargés de l'affaire, de la procureure, et de la seul survivante à la folie meurtrière de Franklin Jr.
Les disparues de L.A.
par Lise Martin
Entre 1985 et 2007, un serial killer a sévi dans les rues de South Central, quartier défavorisé de Los Angeles, s'attaquant à des femmes noires. La police a-t-elle failli, les autorités auraient-elles agi autrement à Beverly Hills ? Dans son livre Black-out, la journaliste française Cécile Delarue s'interroge.
Black-Out. Les disparues de South-Central
par Claire Julliard
Si elles avaient été blanches et nées à Beverly Hills, la nouvelle de leur meurtre aurait fait le tour de la presse. Mais de la centaine de filles noires violées et assassinées entre 1980 et 1990 dans le South Central, quartier chaud de Los Angeles, nul n'a parlé. Plusieurs serial killers ont agi en toute impunité dans ce secteur ravagé par la violence et le crack. Le "romanquête" de Cécile Delarue, journaliste française émigrée aux Etats-Unis, devrait faire date. Pugnace dans sa traque de la vérité sur les victimes du Grim Sleeper, "le tueur endormi", il montre l'envers du paradis californien. Un voyage en enfer dont on sort abasourdi.
Quand la réalité dépasse la fiction...
par Julie Destouches
Vous aimez les séries policières ? Avec Black Out, vous allez êtes servie ! A la différence que, dans ce livre, tout est vrai. Suspens et frissons garantis.
Ses talons claquent sur le bitume chauffé par la nuit californienne. Elle est prête à tout, elle a besoin d’argent pour se payer sa dose. Son bébé dort avec sa mère sur un matelas crasseux, dans le trou à rats qu’un marchand de sommeil leur loue à prix d’or. C’est la misère. Elle va monter dans une voiture… Et on retrouvera son corps quelques jours plus tard dans une benne à ordures. Les policiers frapperont à la porte pour informer sa famille. Et l’histoire se répétera, encore et encore, nuit après nuit… Entre les années 1980 et 1990, dans le quartier de South Central de Los Angeles, une centaine de femmes connaîtront le même sort, dans un silence assourdissant.
C’est pour comprendre les raisons de ce silence que Cécile Delarue, journaliste française, a mené l’enquête. Dans "Black-Out, les disparues de South Central", on suit son investigation à la recherche de réponses. Comment imaginer qu’aux Etats-Unis, des meurtres puissent être commis impunément pendant des années ? Parce que les victimes sont toutes des femmes ? Des femmes noires ? Des femmes noires toxicomanes et/ou prostituées ? Battant en brèche tous les préjugés, elle a rencontré et questionné les différents protagonistes de ces affaires sordides, policiers, enquêteurs, familles... Tous sauf un.
Lonnie David Franklin Jr. Aussi nommé le Grim Sleeper, ce tueur en série a été accusé le 7 juillet 2010 de 10 meurtres. On a retrouvé chez lui des dizaines de photos de femmes, dont de nombreuses restent encore à ce jour non identifiées. Qui sait combien de sang cet individu a sur les mains…
Mais la question n’est pas là. L’Amérique n’est pas avare en serial killer. Le racisme y rôde. On découvre dans ce livre les rouages d’une justice à deux vitesses, le quotidien de familles noires qui n’osent plus appeler la Police de peur d’en faire les frais, la paupérisation puis la ghettoïsation de pans entiers d’une ville comme Los Angeles… Une lecture haletante, qui donne à réfléchir sur de nombreuses questions de société.
Elles sont montées dans sa voiture et...
par Cécile Delarue
Les visages de centaines d'inconnues. C'est ce que la police de Los Angeles a trouvé parmi les photos du tueur en série Lonnie Franklin Jr. Huit ans après cette découverte, quarante-deux n'ont toujours pas été identifiées. La journaliste Cécile Delarue nous raconte l'enquête qu'elle a menée et dont elle a tiré un livre, Black-out, dans lequel elle dévoile un système où affleurent racisme et discriminations.
par Laurent Lemire
Dans une enquête millimétrée, Cécile Delarue rouvre le dossier du tueur en série Grim Sleeper et du racisme aux Etats-Unis.
C’est écrit comme un polar, mais ce n’en est pas un. C’est pensé comme un reportage, mais nous touchons à la sociologie. Nous sommes dans la ville des anges où les démons sont si nombreux : Los Angeles. Toute une promesse pour les stars, les renégats et les serial killers. James Ellroy en sait quelque chose. La violence y est aussi épaisse que la pollution. Cécile Delarue y enquête sur une affaire, glauque évidemment. On l’a surnommé Grim Sleeper - dormeur lugubre - dans la presse. La journaliste est allée voir les familles pour tenter de comprendre pourquoi la police s’est désintéressée de ce détraqué qui a violé et zigouillé au moins dix femmes noires, le plus souvent prostituées, dans les décennies 1980-1990. Elle apprend aussi que quatre autres dingues sévissaient au même moment à South Central, portant le nombre de disparitions à près de cent ! Mais le LAPD n’aime pas trop le quartier qui s’est enflammé en 1992 après la relaxe des policiers qui ont tabassé Rodney King. Le bilan fut lourd : 63 morts, 2 383 blessés et plus de 12 000 arrestations.
C’est dans ce contexte qu’il faut lire l’enquête millimétrée de Cécile Delarue, dans cette zone rongée par le crack, les gangs et les prédateurs sexuels. Pendant quatorze ans, Grim Sleeper se serait interrompu. Puis il a recommencé à tuer selon le même mode opératoire, en jetant les cadavres dans les poubelles. Il est arrêté en 2010 grâce à de l’ADN prélevé sur une part de pizza. Il s’appelle Lonnie Franklin Jr., il est noir comme ses victimes, marié avec deux enfants.
[...] Cécile Delarue déroule son investigation par petites phrases, des listes de morts, des conversations, des impressions. On a parfois le sentiment de lire le calepin du lieutenant Columbo, mais c’est ce qui donne à son livre cette concision au drame.
Les flics qu’elle interroge semblent sortis d’une série TV, les victimes aussi. Mais tout est vrai, tout est tragique. Le racisme, la police et la violence sont au cœur de South Central. A Beverly Hills, le sommeil de Grim Sleeper aurait été écourté. Mais ici… Le titre Black-out fait référence à une œuvre de l’artiste américaine Kenyatta A. C. Hinkle représentant une femme qui entre dans un nuage noir. Saisissant, comme ce livre.