Sylvain Pattieu
Nous avons arpenté un chemin caillouteux
récit
collection Les Invraisemblables
160 pages, 13 euros
2 février 2017
REVUE DE PRESSE
La ballade de Melvin et Jean, pirates de l’air pour la cause des Noirs
par Sophie Joubert
« C’est l’histoire de Jean et Melvin McNair, l’histoire d’un temps où détourner un avion était plus facile que braquer une banque, où il ne serait venu l’idée à personne de le précipiter contre une tour ni de le faire exploser » écrit Sylvain Pattieu au début de « Nous avons arpenté un chemin caillouteux ». Jean et Melvin McNair sont entrés dans sa vie en 2015, lors d’une cérémonie organisée à Paris en l’honneur de Melvin. Jean était déjà morte d’ une crise cardiaque, en Normandie, où le couple vivait depuis les années quatre-vingts. Ecrivain, historien et enseignant à Paris 8, spécialiste des populations noires en France, auteur d’un « roman de pirates » (1), Sylvain Pattieu ne pouvait que s’intéresser au destin de ce couple condamné à la prison puis à l’exil pour avoir détourné, le 31 juillet 1972, le vol 841, reliant Détroit à Miami. Une vie de cavale, de parents séparés de leurs enfants, de révolutionnaires américains devenus travailleurs sociaux aimés de tous dans une petite ville de la province française.
« Nous avons arpenté un chemin caillouteux » est un vers tiré d’un poème de James Weldon Watson écrit en 1899, l’hymne des Noirs américains. Entrecoupé de références historiques, le livre inscrit l’épopée de Melvin et Jean McNair dans celle des Noirs américains, leurs humiliations, leurs combats contre la ségrégation. Nés en 1946 et 1948, Melvin et Jean suivent le chemin tracé par leurs aînés : Claudette Colvin et Rosa Parks, arrêtées pour avoir refusé de céder leur place à un blanc dans un bus, Malcolm X et Martin Luther King, militants de la cause noire assassinés.
Le texte est fragmentaire, la chronologie bouleversée. Au récit de la vie de Melvin et Jean, leur rencontre sur le campus de Greensboro, en Caroline du Nord, leur vie en communauté, leur volonté de renouer avec l’histoire noire, Sylvain Pattieu superpose celui de son enquête. L’écrivain questionne ses propres engagements, tisse des liens, des « cohérences », entre le mouvement noir, le mouvement ouvrier, le communisme, l’anti-impérialisme. « Ça veut dire quoi se révolter dans les années soixante-dix aux Etats-Unis, société de consommation triomphante, technique triomphante, progrès affiché en réponse à qui proteste? » se demande-t-il. (...)
Fascinés par le « highjacking » de Roger Carter et Cathy Kerkow pour obtenir la libération d’Angela Davis, Melvin et Jean décident de détourner, au profit des Black Panthers, un avion vers l’Algérie, pays emblématique de la lutte contre la colonisation. Le détournement réussit, sans violence. Mais les cinq pirates de l’air, Melvin et Jean McNair, George Wright, George Brown et Joyce Tillerman sont lâchés par le gouvernement algérien et par la section internationale du Black Panthers Party. L’équilibre des forces géopolitiques a changé. Melvin et Jean sont exfiltrés en France et renvoient leurs deux enfants aux Etats-Unis. La séparation durera six ans.
Tragique hasard de l’histoire, Johari, leur fis aîné est mort en 1998 aux Etats-Unis, où il était retourné vivre. Tué par balle, à vingt-huis ans. « Jean et Melvin ont détourné un avion, à peine moins âgés que lui quand il meurt, pour échapper à leur destin de Jeunes Noirs américains, et ce destin le rattrape, le laisse allongé au coin d’une rue. L’Amérique ne les a pas eus mais elle a eu leur fils » constate Sylvain Pattieu.
Publié dans la collection « les Invraisemblables », que les éditions Plein Jour consacrent aux héros de la vie réelle, Nous avons arpenté un chemin caillouteux est né d’une nouvelle écrite par Sylvain Pattieu pour «l’Humanité » (2). Un poignant hommage à deux figures tragique de l’histoire, rejetées à jamais par le pays qu’ils voulaient changer.
(1) Et que celui qui a soif vienne, Le Rouergue, 2016.
(2) « Melvin et Jean » pour la série « Lire le pays », été 2015.
La Fabrique de l'histoire
par Emmanuel Laurentin
"Table ronde fiction en histoire", avec Isabelle Heullant-Donnat, Pierre-François Souyri et Pascal Ory. À écouter ici (à partir de 38 min. 10 s.).
Paris Book Fair showcases "richness" of diversity
Long lines of people waiting to speak to an author. Children sitting on the floor immersed in their reading. An African Nobel Prize laureate giving his views on subjects ranging from literature to retirement. A presidential candidate surrounded by throngs of reporters and young people. Books and writers from all over the world.
The sense of excitement at the 2017 Paris Book Fair (Livre Paris) demonstrated once more that books are still important to a great number of people. (...)
Vol 841 pour Alger
par Grégoire Leménager
En ce temps-là, la mode était aux pattes d'eph, aux coupes afro et aux détournements d'avion. C'était "plus facile que braquer une banque", et "il ne serait venu à l'idée de personne de les précipiter contre une tour, ni de les faire exploser". Le 31 juillet 1972, les quatre-vingt-quatorze passagers du vol 841, Détroit-Miami, ont donc été pris en otage par une petite bande de Noirs américains poussés à bout par des décennies de ségrégation raciale. (...) Puis ils ont relâché tout le monde, sans un coup de feu. Et filé à Alger, où les attendaient quelques Black Panthers en piteux état, des autorités locales qui ont réquisitionné leurs dollars et un gros, un énorme paquet de désillusions.
Parmi les pirates se trouvait un couple : Jean et Melvin McNair, avec leurs deux enfants. Passés d'Algérie en France, ils ont connu la clandestinité et la prison, pendant que le FBI s'acharnait à réclamer leur extradition. Ils ont rencontré et reçu les soutiens de gens comme Sartre, Montand et Simone Signoret. Ils ont fini par s'exiler dans un quartier périphérique de Caen : La Grâce de Dieu, dont ils sont devenus des sortes d'anges gardiens. Là, leur lutte contre les inégalités a pris d'autres formes, nettement plus pacifiques : cours de base-ball, soutien scolaire, accueil d'enfants battus par leurs parents. On ne savait pas forcément le geste irrémédiable qu'ils avaient commis le 31 juillet 1972, mais les témoignages sur leur générosité abondent. "On a plusieurs vies, c'est un fait", observe Sylvain Pattieu. Mais "qu'est-ce qu'on peut faire après avoir détourné un avion ?". Le destin de ce couple peu commun méritait bien un livre comme le sien. C'est un récit très actuel, plein d'empathie, d'intelligence et de détails terribles qui ne s'inventent pas. Un petit chef-d'œuvre de narrative nonfiction, comme on dit aux États-Unis - ce pays où il reste si difficile d'être noir, ce pays que Jean et Melvin McNair n'ont jamais revu.
par Mohamed Kaci
Attachez vos ceintures
par Jérôme Dupuis
« Et si on détournait un avion ? C'est une bonne idée, non ? On prend les enfants avec nous, d'accord ? » C'est à peu près ainsi qu'a commencé l'un des plus invraisemblables détournements d'avion de l'Histoire. Nous sommes le 31 juillet 1972. Trois hommes et deux femmes noirs américains gravitant dans la mouvance des Black Panthers embarquent (...) dans le vol 841 Détroit-Miami. Ils braquent l'équipage, fument quelques pétards à 8 000 mètres d'altitude, se font remettre 1 million de dollars par un agent du FBI en slip sur le tarmac de Miami, relâchent les passagers et continuent jusqu'en Algérie. Le tout avec leurs enfants à l'arrière, donc.
L'histoire de ce commando raconte aussi la condition des Noirs dans l'Amérique des sixties. On a même droit à un épilogue "Frenchy" : après avoir purgé des peines plutôt légères, certains auteurs de ce coup de folie vivront leurs dernières années dans une cité de Caen. L'un d'eux, Melvin McNair, y devient même un entraîneur de base-ball respecté. On ne sera pas étonné que cette folle aventure paraisse dans une nouvelle collection, "Les Invraisemblables", qui a pour particularité de ne publier que des histoires... vraies.
« Pirate un jour, pirate toujours !
Sylvain Pattieu délaisse ici les mers du globe et prend cette fois de l’altitude. Voici Jean et Melvin McNair, afro-américains qui, le 31 Juillet 1972, font une entrée fracassante dans la confrérie des pirates en détournant; en compagnie de George Brown, Joyce Tillerson et George Wright; le vol 841 Delta Airlines entre Détroit et Miami. Changement de cap. Direction Alger.
De l’Amérique ségrégationniste, au mouvement pour les droits civiques, jusqu’en Normandie, l’auteur nous emmène sur les traces de ces corsaires des temps modernes. Une réflexion, plus que jamais actuelle, sur l’oppression, l’engagement, l’intolérance. Intense !
Un petit livre qui a tout d’un grand ! »
Librairie Les Mots & les Choses, Boulogne-Billancourt
« Caillouteux fut leur chemin, bienveillant et intelligent le regard de Sylvain Pattieu sur la ségrégation et le couple McNair. Un texte fulgurant et une lecture salutaire. »
Valérie Caffier, librairie Le Divan, Paris
« Une formidable pirouette narrative, une extraordinaire aventure humaine, sociale et politique. »
Matteo Cavanna, librairie Gallimard, Paris
« La manière la plus intelligente de dépenser 13 euros ! Ni roman ni enquête, ou un peu des deux, peu importe au fond, ce qui compte c'est l'intensité de ce texte, son engagement et sa force. À travers les portraits de Jean et Melvin McNair, Afro-Américains devenus pirates de l'air par désespoir, c'est à une profonde réflexion sur l’oppression et l'intolérance que nous invite Sylvain Pattieu. On en ressort bouleversé, et grandi. »
Mathilde Guiraud, librairie Delamain, Paris
« Un véritable travail d'écriture du réel, un récit ultra-documenté et plein d'empathie qui remet en contexte le geste désespéré d'une poignée de jeunes Noirs voulant fuir le ghetto à la fin des années soixante-dix et leur long chemin vers la rédemption. »
Amaury Gouyette, librairie Brouillon de culture, Caen
L'histoire noire américaine est devenue un sujet littéraire
par Lise Wajeman
Un nouveau, voire un contre-récit national américain : c’est ce que visent
des textes qui paraissent en France cet hiver, et qui sont autant
de « contrenarrations » : Les Confessions de Nat Turner, dont s’inspire le film de Nate Parker, The Birth of a Nation ; et des livres dont l’objet est de raconter, ou de re-raconter, une histoire noire américaine : ceux de Ta-Nehisi Coates, Sylvain Pattieu et John Keene.
(...) Le couple McNair n’est pas très connu en France, où il s’est pourtant installé en 1973, après un détournement d’avion dont Sylvain Pattieu, dans Nous avons arpenté un chemin caillouteux (Plein jour, 2017) entreprend de nous raconter l’histoire. Le 31 juillet 1972, le couple McNair et leurs colocataires, deux hommes et une femme, montent avec leurs enfants à bord du vol régulier Détroit-Miami, qu’ils piratent. Ils contraignent l’équipage à les emmener à Alger, relâchant au passage les quatre-vingt-quatorze passagers et embarquant un million de dollars. L’aventure tourne court : la section internationale des Black Panthers qu’ils imaginent rejoindre est étique, le gouvernement algérien rend l’avion et la rançon aux États-Unis.
Si Pattieu, qui est historien, revient avec les moyens de la littérature sur « ce temps où détourner un avion était plus facile que braquer une banque », ce n’est pas par goût du rocambolesque, mais pour tenter de percevoir à hauteur d’homme ce que c’est qu’être noir, dans l’Amérique de l’après-guerre (il faudrait d’ailleurs réfléchir à la façon dont nombre d’historiens recourent ces temps-ci à la « littérature » pour rendre plus sensible leur approche). Ce que signifie être noir, c’est par exemple, pour Melvin, courir un plus grand risque d’être tué s’il est envoyé au Vietnam ; Jean essaie de l’expliquer, alors qu’elle attend son procès en prison, en France, en 1976, et qu’elle écrit au juge, dans son français encore hésitant (il s’agit là d’un document réel, intégré au récit) : « Ces papiers que vous avez, ils peuvent vous montrer certains faits de notre vie, mais ils ne peuvent pas vous montrer nos douleurs, nos tristess, nos souffrances ni nos humiliations d’être Noire en Amérique. (…) Ils ne peuvent pas vous montrer nos désespoirs ni frustrations qui viennent quand on travail dur (…) pour être arrêté chaque fois par le mur de racisme qui nous entourne, (…) ce mur qui non seulement nous empêche à vivre materialement, mais nous interdit d’avoir une response bien humain et reagir contre ces injustices. »
Pattieu conclut de la vie des McNair, qui sont devenus des figures centrales de la vie de leur quartier à Caen (le stade de base-ball où Melvin a été entraîneur porte désormais son nom) : « Leur geste tragique s’est transformé en chemin de vie, ils n’ont pas fait table rase du passé. » On imagine que c’est au nom des même principes qu’il a entrepris ce récit, une façon pour un écrivain blanc français d’hériter de l’histoire de ces Noirs américains.
Nova Book Box
Sylvain Pattieu annonce la parution prochaine de Nous avons arpenté un chemin caillouteux au micro de Richard Gaitet. À écouter ici (à partir de 18 min. 52 s.).