Mise au point
Isabelle Kersimon, avec qui j’ai co-écrit Islamophobie, la contre-enquête (Plein Jour, 2014), a récemment accordé plusieurs entretiens dans le cadre de la promotion de l’essai (blog de Pierre Cormary, Radio J, Judaïques Fm) dans lesquels elle exprime des opinions qui se démarquent si nettement des thèses centrales du livre, les contredisant même parfois, que je me vois dans l’obligation de rappeler ces thèses. Isabelle Kersimon a accepté de cosigner ce livre. A-t-elle depuis changé de vue ? En toute hypothèse, si elle a parfaitement le droit de penser ce qu’elle veut, elle ne saurait avoir celui de s’appuyer sur notre travail commun pour divulguer ses idées quand elle s’en éloigne à ce point.
En premier lieu, contrairement à ce que laisse entendre ma co-auteur, l’objectif de l’essai n’est pas de récuser de façon catégorique la notion d’islamophobie mais d’explorer l’envers de son décor conceptuel, de faire en quelque sorte le tri entre le bon grain et l’ivraie dans une notion propice aux instrumentalisations idéologiques. Ce « contrat » avec le lecteur est posé dès l’introduction :
En France, des femmes sont victimes d’injures, de discrimination, de menaces et d’agressions uniquement parce qu’elles portent un voile islamique ; dans certains établissements scolaires, la loi du 15 mars 2004 interdisant les signes religieux ostentatoires est prétexte à chasser le moindre indice de ferveur religieuse, particulièrement quand l’islam est en jeu ; des lieux de culte musulmans sont régulièrement la cible de dégradations et de tags injurieux ; les messages d’incitation à la haine envers la population musulmane prospèrent sur la toile, parfois jusqu’à l’appel au meurtre… Ce livre n’a pas pour objet de nier cette réalité ou de relativiser la gravité de ces actes. Tous sont à proprement parler islamophobes, au sens où ils visent des personnes en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à la religion musulmane, et dans la mesure même où, comme la connotation médicale de ce mot l’indique (« phobie » renvoyant à l’idée d’anomalie mentale), ils révèlent une névrose obsessionnelle d’une partie de la société française, une crispation intellectuelle porteuse d’irrationalité. S’il ne s’agissait que de remettre la raison au cœur du débat public et de protéger une partie de la population française des troubles que suscitent les préjugés dont elle fait l’objet, seule une participation déterminée à la lutte contre l’islamophobie aurait un sens.
Mais ce qui est en train de se passer dans la société française est d’une tout autre nature. L’accusation d’islamophobie devient exponentielle. À intervalles réguliers, la France apprend qu’elle se transforme progressivement en nation islamophobe, non seulement à travers les actes de certains, mais par les pensées, les propos, les jugements sinon de tous, du moins d’une frange présentée comme dominante de l’esprit public. Rien n’échappe au soupçon, nul débat sur l’islam, nulle critique de cette religion, nulle interrogation sur les pratiques qu’elle recouvre ; nos lois elles-mêmes sont accusées d’être porteuses de ce fléau.
Sommes-nous devenus à ce point haineux ? Le pays sombre-t-il dans l’intolérance ? Il nous a semblé qu’il était temps non pas de polémiquer, d’ajouter l’invective à l’invective mais, simplement, de vérifier. (p. 7-8)
Ensuite, si l’essai a bel et bien pour objet de décrypter un processus de détournement confessionnel de l’antiracisme (notamment à travers l’analyse des pratiques du Collectif contre l’islamophobie en France), son propos n’est nullement de récuser l’existence d’un racisme anti-musulman en France. Par définition, le propre d’un raisonnement raciste est d’attribuer à un individu une « nature » spécifique en fonction d’un critère arbitraire (couleur de peau, origine culturelle, confession religieuse, etc.).
Or, comme en témoigne la définition donnée par les administrateurs coloniaux français au début du vingtième siècle (voir le chapitre I de l’essai), l’islamophobie peut parfaitement être synonyme de racisme culturel, dès lors que des préjugés négatifs à l’égard de la religion ou de la culture musulmane sont exploités pour représenter les musulmans comme des individus incapables de penser et d’agir indépendamment des préceptes islamiques : il devient alors quasiment naturel de les désigner comme une menace pour la communauté nationale (comme l’illustrent certaines déclarations d’Éric Zemmour ou de Christine Tasin).
C’est pourquoi il n’est pas possible d’appréhender l’islamophobie uniquement comme une forme classique d’anticléricalisme (lequel relève avant tout d’un combat politique contre les autorités religieuses, et non contre les croyants eux-mêmes). Cette récusation catégorique de la notion de racisme anti-musulman me paraît d’autant plus incohérente que ma co-auteure explique, par ailleurs, que la définition de l’islamophobie forgée par les administrateurs coloniaux est à ses yeux la seule « pertinente puisqu’elle désigne historiquement un rejet fondé sur une vision réductrice et essentialiste » des musulmans ! Ce qui, en l’occurrence, est bel et bien dans le livre, contrairement à cet aveuglement sur une mutation du racisme dont nous étions censés au contraire définir l’étendue réelle - notamment pour contribuer à son éradication (voir la conclusion du livre).
Par ailleurs, je m’étonne que ma co-auteur n’ait pas contredit les propos de Pierre Cormary selon qui, « contrairement à l’islamophobie, l’antisémitisme a tué et continue de tuer - tout comme d’ailleurs l’islamisme ». Car, s’il est vrai que les passages à l’acte violents sont spectaculairement plus nombreux s’agissant de l’antisémitisme, il est proprement aberrant d’affirmer que l’islamophobie – au sens de racisme anti-musulman – ne tue pas. Pour mémoire, la tuerie d’Utoya a été revendiqué par Anders Breivik comme un acte politique contre l’islamisation de l’Europe. De même, Marwa El-Sherbini a été assassinée le 1er juillet 2009 à Dresde en plein tribunal par Alex Wiens (lequel avait été condamné en première instance pour l’avoir traité d’« islamiste », de « terroriste » et de « salope » dans une aire de jeux).
Enfin, je dois me désolidariser de ma co-auteur lorsqu’elle affirme – qui plus est dans un entretien où elle est présentée à tort comme l’« instigatrice » d’une contre-enquête dont elle s’apprête à nier le contenu – que le port du voile est un symptôme de « radicalisation identitaire » sous prétexte qu’« une étudiante voilée se présente à autrui d’abord comme musulmane », ou qu’elle prône sur Twitter l’interdiction du voile à l’Université au motif qu’il faudrait « faire le choix politique d’une sanctuarisation de l’enseignement supérieur ». Son interprétation univoque de la signification du voile comme son soutien à la proposition de loi Ciotti vont en effet à l’encontre non seulement des conclusions mais de la méthode même, fondée sur la nuance et la précision juridique, des deux derniers chapitres de l’essai, consacrés à ces problématiques. Sur la question du voile à l’Université, je renvoie aussi à mon décryptage juridique de la proposition de loi Ciotti, lequel reprend pour partie des arguments développés dans l’avant-dernier chapitre de l’essai.
Ce qu'islamophobie veut dire
propos recueillis par Christian Authier
Isabelle Kersimon et Jean-Christophe Moreau viennent de publier une « contre-enquête » sur l’islamophobie, ce rejet total de l’islam et des musulmans qui gangrènerait la France. Analyse d’un concept ambigu avec Jean-Christophe Moreau.
Vous rappelez que le néologisme « islamophobie » a une longue histoire, mais comment expliquer son nouveau « succès » contemporain en France et ailleurs ?
Le terme d’islamophobie, inventé en France à l’époque coloniale, est «réactivé» à la fin des années quatre-vingt-dix. Il s’est imposé à l’issue d’une guerre d’usure diplomatique, conduite par un étrange attelage de fondamentalistes religieux et d’organisations antiracistes auprès des instances internationales et européennes pour instaurer un délit de « diffamation des religions ». Mais il s’est aussi imposé parce que la nature médiatique a horreur du vide. À défaut d’un terme précis, on s’est rabattu sur la formule choc. En ce sens, la victoire des promoteurs du concept d’islamophobie est un succès par défaut, rendu possible par l’absence d’une véritable alternative sémantique. L’essentiel est de ne pas se laisser abuser par une terminologie bancale, et de retenir qu’elle peut autant servir à dénoncer des discriminations intolérables qu’à hystériser le débat public.
Ce terme d’islamophobie désigne des discriminations en les ramenant à une dimension religieuse, n’y a-t-il pas là un détournement de l'antiracisme à des fins confessionnelles ?
L’islamophobie « ordinaire » – les simples préjugés sur l’islam – n’est pas obligatoirement synonyme de haine des musulmans : toutes les enquêtes d’opinion le démontrent. Mais elle devient un problème quand elle dégénère en racisme culturel, c’est-à-dire à partir du moment où l’on considère que l’appartenance à la religion musulmane confère aux individus une « nature » particulière. Tout le problème est que la lutte contre l’islamophobie, en pratique, se solde souvent par la défense d’une conception sclérosée, voire totalitaire, du respect de la liberté religieuse. Dès lors, toute mesure préjudiciable à un membre de la «communauté musulmane» devient susceptible d’être dénoncée comme «acte islamophobe», quelle que soit sa justification objective. (...)
Toujours dans la sémantique, n’existe-t-il pas une confusion en France dans l'utilisation du terme « musulman », y compris dans les discours médiatiques et politiques ? Des associations se revendiquant de l’islam prétendent ainsi représenter « 5 à 6 millions de musulmans », Nicolas Sarkozy évoqua des « musulmans d’apparence » à propos des militaires victimes de Mohamed Merah... On réduit des individus, maghrébins ou arabes, à une croyance supposée sans leur demander leur avis.
La querelle des chiffres trahit effectivement une confusion – parfois volontaire – entre origine ethnique, référence culturelle et pratique religieuse. Cette fameuse estimation de la population musulmane française à 5 ou 6 millions d’individus repose sur un amalgame – imposé en l’occurrence par l’interdiction de poser une question relative à la religion lors des opérations de recensement – qui consiste à déduire l’appartenance religieuse à partir de l’origine géographique des individus ou de leur famille (ce qui amène d’ailleurs à une invisibilité statistique des convertis). L’enquête Trajectoires et Origines (2008-2009) est parvenue à une estimation largement inférieure (environ 2 millions) en prenant seulement en considération les personnes se déclarant spontanément musulmanes. (...)
Comment expliquer que les dénonciateurs de l'islamophobie ne s'élèvent pas d'abord contre l'islamisme radical et le terrorisme islamiste qui nourrissent l'islamophobie tout en tuant aussi des musulmans ?
Par définition, la notion d’islamophobie admet difficilement que le rejet de l’islam puisse avoir des causes objectives. D’où l’existence d’une forme de déni face au terrorisme islamiste. Du reste, on peut comprendre que les associations consacrent l’essentiel de leurs ressources, comme aujourd’hui, à la défense effective des victimes du racisme anti-musulman qui sévit après les attentats plutôt qu’à un travail de pédagogie au résultat incertain. Le véritable problème tient surtout à la virulence du déni face aux menaces islamistes. Car certains dénonciateurs de l’islamophobie – comme le CCIF – n’affirment pas seulement que cette violence n’a rien à voir avec l’islam : ils en rejettent systématiquement la responsabilité sur les défaillances de la société française. De telle sorte que les victimes du terrorisme islamiste sont invariablement présentées comme des victimes collatérales de «l’islamophobie française» et/ou de l’impérialisme occidental, et les terroristes islamistes comme des laissés-pour-compte de notre modèle d’intégration. Paradoxalement, chaque attentat commis au nom de l’islam devient prétexte à diaboliser la société française, comme si celle-ci détenait l’explication d’une violence politique qui sévit à l’échelle mondiale !
Terrorisme islamiste : rester unis et lucides
débat animé par Alexis Lacroix
Avec la participation de Waleed Al-Husseini, Isabelle Kersimon, Bernard Schalscha, Meïr Waintrater et Michaël Bar-Zvi.
"L'islamophobie" selon Alain Gresh
par Jean-Christophe Moreau
Spécialiste du Moyen-Orient, le journaliste Alain Gresh a joué aux côtés de Tariq Ramadan un rôle décisif dans la consécration médiatique du terme d'"islamophobie" comme dans la banalisation de l'islam politique. Le 6 janvier, il publiait sur son blog un article présentant Islamophobie, la contre-enquête (que j'ai co-écrit avec Isabelle Kersimon) comme l'œuvre d'émules de Riposte laïque qui chercheraient à minimiser insidieusement le racisme subi par les musulmans.
Si Alain Gresh avait ôté ses œillères idéologiques, il aurait par exemple trouvé dans l'essai tous les arguments juridiques plaidant en faveur du retrait de la circulaire Chatel réclamé à l'issue de la Journée internationale contre l'islamophobie. Il y aurait aussi lu une étude sur les attaques contre les lieux de culte musulman et sur leurs suites judiciaires.
Mais qu'importe au journaliste du Monde diplomatique décidé à faire passer l'essai pour un brûlot anti-musulman.
La charge d'Alain Gresh résonne comme une insupportable accusation de complaisance à l'égard des actes anti-musulmans, qui plus est alors que l'on assiste aujourd'hui à une série alarmante de réprésailles aveugles suite aux attentats commis à Charlie Hebdo et dans un commerce juif. Accusation d'autant plus sordide a posteriori qu'elle émane d'un des fers de lance de la campagne orchestrée contre le journal au nom de la lutte contre "l'islamophobie".
La déferlante "islamophobe", légende urbaine
par Bruno Deniel-Laurent
Un spectre hante la France : l'islamophobie. À en croire certains lanceurs d'alerte, la détestation des musulmans s'étalerait au grand jour, relayée par des philosophes égarés et des médias dévoyés qui rejoueraient ainsi l'antienne xénophobe des années 30. Dans Islamophobie, la contre-enquête, Isabelle Kersimon et Jean-Christophe Moreau, loin de contester l'ampleur des actes délictueux, ont cherché à démêler ce qui relève d'une névrose obsessionnelle d'une partie de la société française et ce qui tient plutôt de l'instrumentalisation, l'extension abusive du mot "islamophobie" s'inscrivant dans la rhétorique des lobbys religieux ou militants. Analysant les rapports annuels sur l'islamophobie, en particulier celui du CCIF, les auteurs mettent en évidence les abus d'interprétation (...) et interrogent de multiples données statistiques. (...)
L'intérêt de cette contre-enquête réside aussi dans ses préoccupations sémantiques (...), dans sa volonté de battre en brêche certains mythes (comme celui de l'impunité supposée des auteurs d'actes antimusulmans) et d'offrir une passionnante étude de cas sur l'affaire de la crèche Baby-Loup. En conclusion, cette contre-enquête documentée et mesurée pointe ce qui est peut-être le vrai danger : celui de renoncer à toute analyse rationnelle des manifestations de rejet de l'islam dans la société française, pour lui préférer la thèse catastrophiste et à la mode d'une "déferlante islamophobe" porteuse d'un choc de civilisation à venir. Contre chacune de ces deux grandes peurs qui se nourrissent l'une de l'autre, il est assurément urgent de se confronter sans crainte aux différentes manifestations de l'islam, et de tenter d'embrasser en un même regard ses purulences belliqueuses et ses admirables ravissements.
Le Collectif contre l'islamophobie en France :
un islamisme à visage humain ?
par Jean-Christophe Moreau
Suite à la présentation de notre essai Islamophobie, la contre-enquête par Caroline Fourest sur France Culture et à son émission Cahiers de doléances consacrée au racisme anti-musulman, un communiqué du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) dénonce la « forfaiture intellectuelle » de l'ennemie préférée des intégristes de tous bords.
Le CCIF s'y défend, avec beaucoup de véhémence, d'avoir jamais cherché à « disqualifier toute vigilance envers l'intégrisme ou le terrorisme », selon l'expression de cette dernière. Son seul objectif, assure-t-il, est « non pas [d']étouffer toute critique de l'islam, ou [de] réclamer un traitement de faveur [...] mais [de] repousser la diabolisation des musulmans, [de] faire rétablir dans leurs droits les victimes d'une nouvelle forme de discrimination. »
Créé en 2003, le CCIF entretient d'excellentes relations avec l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), laquelle s'inspire de l'idéologie des Frères musulmans égyptiens. Il exerce principalement deux fonctions : un travail de recensement des « actes islamophobes » à partir des dépôts de plaintes et des signalements qui lui sont directement rapportés, et une mission d'information et d'assistance juridique auprès des victimes.
Reconnu d'intérêt général en juin 2011, le CCIF est également membre consultatif du Conseil économique et social des Nations unies depuis septembre 2011. L'inventaire des « actes islamophobes » recensés par le CCIF a, curieusement, disparu de ses rapports annuels depuis cette consécration... Or, c'est en investigant sur eux que l'on saisit sa double nature. Car si l'association lutte contre des violences et des discriminations bien réelles (principalement liées au port du voile), elle profite de ce combat légitime pour faire avancer des causes plus suspectes.
Pour s'en convaincre, il suffit de regarder de plus près certains des actes dénoncés par le CCIF entre 2003 et 2011.
Cahiers de doléances : anti-islam, la France ?
par Caroline Fourest
Avec la participation de Jean-Christophe Moreau.
Islamophobie, la contre-enquête
par Gilles Mathorel
Ce livre pourra en attirer plus d’un à l’heure où les tensions intercommunautaire sont de plus en plus palpables. Mais que l’on prenne garde, le livre se situe dans une perspective bien spécifique. Il s’agit pour les auteurs d’analyser et de présenter le concept d’islamophobie comme un ressort ou non de la société française. Après une analyse très précise des débats médiatiquess sur cette islamophobie, ils concluent qu’il serait présomptueux de conclure qu’une « vague d’islamophobie déferlerait aujourd’hui sur la France ». (p.159). Il y a de temps en temps des actes délictueux commis bien souvent par des délinquants. Il faut réagir face à ces actes. Mais « on ne peut objectivement regarder cette délinquance comme le symptôme d’une pathologie nationale. » et en profiter pour aviver un sentiment de persécution parmi les musulmans. (p.171) (...)
Les conclusions sont claires : « Il n’y a pas d’islamophobie d’Etat ou hostilité institutionnelle à l’égard de l’Islam. (p.273) Et encore : « Notre société est certes traversée de crispations, de peurs irrationnelles, de réflexes de rejets (et hélas d’extrémisme) mais …. elle n’a pas commis de crime contre la raison qui serait un rejet total de l’Islam et des Musulmans. » (p.277) Si ce livre peut contribuer à décrisper les mentalités et favoriser un meilleur accueil de l’autre et du différent, cela sera une contribution positive.
Le monde selon Caroline Fourest
La France est-elle islamophobe ?
par Isabelle Kersimon
À l'occasion du Forum international contre l'islamophobie, qui se tient ce week-end à Paris, Isabelle Kersimon s'interroge sur la réalité de ce phénomène.
(...) Le terme d'islamophobie, finalement consacré par l'usage et par les revendications de ses zélateurs, s'est imposé dans la sphère publique. Fini, le temps où l'on s'interrogeait sur sa pertinence. Sous les coups de boutoir de ses promoteurs, le concept s'est développé dans toutes les directions, et les revendications destinées à en éradiquer les supposés effets délétères se succèdent depuis une dizaine d'années sur tous les fronts.
Aujourd'hui, ce terme ne désigne donc plus seulement des actes réprimés à juste titre par la loi (agressions à l'encontre de personnes en raison de leur religion réelle ou supposée, profanations et destructions…), mais une société souffrante. La société française serait atteinte d'une pathologie sociale totale : un « nouveau racisme » dissimulé sous les oripeaux de l'intolérance culturelle et religieuse.
En bref, l'islamophobie serait une ruse de la xénophobie et de l'arabophobie. Cela peut être partiellement vrai, à titre ultra-minoritaire. Mais l'exercice de racialisation du débat est périlleux : il ressort des rapports du CCIF sur ces sujets depuis une dizaine d'années que musulmans et islamophobes sont toujours essentialisés dans une identité ethno-religieuse indépassable : à de rarissimes exceptions près, les musulmans sont considérés « arabes » ou noirs ; et les islamophobes occidentaux. Ainsi, le PIR désigne-t-il à la vindicte une prétendue race sociale blanche dominante et postcoloniale caractérisée par un goût de la domination unique et historico-atavique.
Au fond, la question serait plutôt : qui essentialise qui ? Coupable, forcément coupable, la société française générerait donc ce « nouveau racisme », larvé, latent, rampant et potentiellement criminogène.
L'islamophobie partout ?
propos recueillis par Rudy Reichstadt
Notre propos est donc de montrer comment une cause légitime (la défense des personnes contre des actes de violence, de menace, de discrimination, d’incitation à la haine, etc.) est détournée au profit d’une campagne identitaire qui ne dit pas son nom, et qui se réclame dans les faits d’une conception sclérosée, pour ne pas dire totalitaire, du respect de la liberté religieuse (appel au rétablissement du délit de blasphème, revendication de droits spécifiques tendant à ériger un « statut » musulman en marge de la citoyenneté ordinaire, etc.).
Jean-Christophe Moreau était l'invité de Gauthier Rybinski. À voir ici.
Ces fragiles citadelles qu'il reste à abattre
par Ivan Rioufol
(...) Dans l'inventaire des leurres idéologiques à dégommer d'urgence : celui qui accrédite une « déferlante islamophobe ». Le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) s'est fait une spécialité dans la dénonciation d'actes antimusulmans. Or il mène en réalité un combat identitaire, comme le démontrent Isabelle Kersimon et Jean-Christophe Moreau. Cette victimisation, instrumentalisée par les islamistes qui rêvent de réhabiliter le délit de blasphème, passe sous silence l'antisémitisme des cités, mais aussi cette réalité révélée par le Livre noir de la condition des chrétiens dans le monde : il y aurait entre 150 et 200 millions de chrétiens persécutés, au nom de l'islam pour l'essentiel. Qui dégonflera cette autre baudruche de l'islamophobie ?