Xavier Charpentier

1983-1984
Quatre saisons à l'envers

 

 

 

224 pages, 18 euros

10 février 2023

 

 

REVUE DE PRESSE

Le Monde, 2 mars 2023

L'art des allers-retours temporels

Par Alain Beuve-Méry

 

Qui se souvient encore de René Tendron ? Avec sa fine moustache, avec ses lunettes cerclées et son costume, tiré à quatre épingles, il était le visage de la Bourse ascendante sur TF1, intervenant du lundi au vendredi, dans le « 13 heures », en direct du Palais Brongniart. Il incarne alors « le passage subreptice de la rupture avec le capitalisme au triomphe de la corbeille ».

[...]

 

Chroniqueur minutieux de l’année 1973, qui a révélé « l’été indien des “trente glorieuses”», Xavier Charpentier s’attaque cette fois aux années 1983-1984, celles du tournant de la rigueur, qui marque le dur retour au réel pour la gauche au pouvoir. Dans 1983- 1984, Quatre saisons à l’envers (Plein Jour), le narrateur âgé de 20 ans découvre Paris, lui qui habite «Blankok», alias Le Blanc-Mesnil, une «banlieue rouge» de Seine-Saint-Denis.

 

Coïncidences troublantes

Khâgneux au lycée Jules-Ferry, à Paris, il échoue à deux reprises au concours d’entrée de Normale- Sup. Reste l’image lumineuse de sa professeure de philosophie, Renée Thomas, «le portrait d’une certaine idée de l’enseignement ».

Xavier Charpentier excelle dans les allers-retours temporels et les coïncidences troublantes. En France, l’année 1983 est marquée par l’élection du maire RPR de Dreux avec le soutien du Front national. Que d’encre a coulé sur le résultat de cette modeste sous-préfecture d’Eure-et-Loir, mais, à

quarante ans de distance et vu les scores du Rassemblement national aujourd’hui, l’auteur estime que « Dreux fut rétrospectivement le “laboratoire” de rien du tout ». Plus significative est, à ses yeux, la « Marche des beurs », dont il ravive le souvenir avec émotion. « Je crois qu’on devrait se rappeler tous les jours cette marche pour l’égalité et contre le racisme. Se remémorer qu’elle a pu naître aux Minguettes [près de Lyon] et finir à la Bastille, grâce à 30 gusses en baskets, je suis sûr que cela nous ferait du bien par les temps qui courent. »

Il évoque aussi l’attentat perpétré le 23 octobre contre l’immeuble Drakkar à Beyrouth, QG des forces de l’ONU qui a entraîné la mort de 58 parachutistes français. Las ! A l’époque, Drakkar noir était surtout le parfum le plus porté par les jeunes hommes, et son odeur était épouvantable. Signature olfactive de ces années 1980, il affichait un slogan publicitaire guère plus acceptable : « La douce violence d’un parfum d’homme ». Vivement que Xavier Charpentier croque la décennie suivante.

Le Figaro Magazine, 24 février 2023

Les années Mitterand

Par Christian Authier

 

Dans le sillage de son remarquable récit consacré à 1973 et à L'été indien des Trente Glorieuses, Xavier Charpentier réitère l'exercice en se plongeant dans les années 1980 qui furent celles de ses 20 ans. Alors en hypokhagne à la Sorbonne, le jeune homme suit les cours de ses « bons maîtres », découvre Simon Leys à « Apostrophes » et Les Nuits de la pleine lune au Quartier latin. À travers ce voyage dans sa jeunesse, l'auteur ressuscite une mémoire intime et collective. Des noms, des images, des événements servent de mots de passe pour dessiner un pays où les cafés tenaient lieu de réseaux sociaux et où la vie semblait plus incarnée.

Dans ce kaléidoscope, on croise Yannick Noah et Laurent Fignon, la naissance de Canal+, l'essor du FN et la marche des beurs, la publication de Vie et destin de Vassili Grossman ou la mort de Raymond Aron.

 

En cette époque charnière, François Mitterrand proclame « le tournant de la rigueur ». Un vent nouveau libéral annonce ce que l'on nommera mondialisation. Au débonnaire René Tendron présentant les cours de la Bourse à la télévision va succéder Bernard Tapie et son culte décomplexé de l'argent. Quatre saisons à l'envers est la rencontre aussi improbable que réussie entre Je me souviens de Perec, les essais de Jean-Pierre Le Goff et les romans de Modiano. Il flotte aussi un parfum de désenchantement et d'illusions perdues sur cette chronique douce-amère qui préfère à la nostalgie le souvenir de ceux qui éclairèrent des années de formation.

LH Le Mag, février 2023

20 ans sous Mitterand

Par Laurent Lemire

 

Xavier Charpentier signe un essai délicat sur l'année 1983 qui fut celle de la rigueur et de ses 20 ans.
 

Avoir eu 20 ans sous Mitterrand, c’est moins dangereux que d’avoir eu 20 ans dans les Aurès. Et pourtant, à la lecture du livre de Xavier Charpentier, on constate que ce n’est pas simple. D’autres guerres, plus intimes que celle d’Algérie, sont à l’œuvre. Et dans les deux cas, il y a comme l’idée de s’être fait avoir. « Non, je ne suis pas certain d’avoir aimé les années 1980, même si j’y ai aimé mes 20 ans. » Pour le savoir, le mieux est encore de redérouler le film en plongeant à la fois dans les souvenirs, dans la presse, dans les livres et bien sûr

dans les archives télévisées. C’est ce que fait avec beaucoup d’esprit ce philosophe passé par la publicité qui n’a pas abandonné le terrain des idées.

C’est vrai qu’il y avait alors un appétit tous azimuts. On croyait que la culture pouvait changer le monde. Jack Lang déclarait que nous étions passés de l’ombre à la lumière, que l’intelligence allait régner. Bref, nous allions enfin voir le bout du tunnel. Et pourtant,
Xavier Charpentier avoue : « Non, je ne suis pas au clair avec 1983. » Cette année-là fut celle du tournant, de l’entrée de la rigueur. Finies la vie en rose et la rigolade ! Sartre, mort un an avant la victoire de la gauche, ne pouvait plus lancer à son Aron alors condisciple de

la rue d’Ulm : « Pourquoi as-tu si peur  de déconner ? » Désormais on ne rit que sous cape. Ouvertement, on écoute René Tendron à la Bourse de Paris en conclusion du journal d’Yves Mou- rousi. Et on parle, on parle de tout et de rien comme dans Pauline à la plage de Rohmer ou À nos amours de Pialat. On parle aussi d’amour dans les annonces « Chéries et Chéris » de Libé. Mais de tous ces débordements, ces inquié- tudes, que reste-t-il ? L’émission « Vive la crise ! » présentée par Yves Mon- tand ou la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros ? Les deux, nous dit l’auteur qui sait avec habileté retisser une ambiance, une tonalité, une odeur de temps perdu qu’on ne rattrape plus. Pour rassurer ceux qui étaient déjà inquiets de cette transition, Mit- terrand voulait donner « du temps au temps ». La formule est abstruse, mais elle a plus de panache que « en même temps ». Non, décidément, ce qui inté- resse Xavier Charpentier, ce sont les moments de bascule. C’est pourquoi on le lit avec autant de gourmandise. Après les années 1970 de sa jeunesse, il poursuit son chemin d’ego-histoire. Dans 6 octobre 1973, l’été indien des Trente Glorieuses (Plein Jour, 2020), il prenait acte de la fin d’une époque qui s’achevait avec la crise pétrolière. Ici, c’est encore une fin, celle de la gauche de 1981, qu’il examine. Cela l’inspire, mais sans tristesse, sans nostalgie. La seule qui transparaît concerne sa prof de philosophie Renée Thomas. Il lui rend hommage car, sans elle, il n’aurait sans doute jamais écrit. Peut-être ne se serait-il pas intéressé non plus à la tra- versée des quatre saisons de ses 20 ans. Au fond, l’esprit de cette année-là est bien résumé par le titre du Goncourt d’alors, signé Frédérick Tristan : Les Égarés.

Littérature du réel, enquêtes, essais, histoire.

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