Marie L. Barret

Éphémère, vénale et légère

176 pages, 17 euros

1er octobre 2015

 

 

 

 

 

REVUE DE PRESSE

France Culture, 10 janvier 2017

Les pieds sur terre

par Sonia Kronlund

 

"Marie a 50 ans et mène deux vies parallèles : l’une de mère de famille, l’autre de travailleuse du sexe, dans une des pièces de sa petite maison perdue en pleine campagne provençale."

"Journal d'une prostituée de campagne", un reportage de Leila Djitli, à écouter ici.

L'Obs, 14 juillet 2016

Le jardin des délices

par Jérôme Garcin

 

À l'en croire, elle habite, au bout d'un chemin de terre, une jolie maison, entourée d'un jardin où coule une fontaine et d'un potager généreux. (...) Elle a 50 ans, un corps "élancé et joli" et une devise, empruntée à Roland Barthes : "Ce que cache mon langage, mon corps le dit." Et son corps le dit quatre jours par semaine, aux heures où ses enfants sont à l'école. Car Marie L. Barret (un pseudonyme) est à la fois mère de famille et "sexo-relaxologue", femme au foyer et "prostituée à la campagne". À ses clients, qu'elle appelle "mes habitués", "mes hommes" ou "mes passants", et dont elle dit : "Je vais vieillir avec eux, nous fermerons le théâtre ensemble", elle réserve une pièce sombre tendue de rouge aux rideaux fermés, où brillent des lampes de sel. Ils sont jeunes ou âgés, riches ou pauvres, heureux ou malheureux, en bonne ou en mauvaise santé, propres ou sales, timides ou crâneurs. Ils viennent le plus souvent la visiter avec, à la main, un bouquet de fleurs, un panier d'aubergines, une bouteille de vin ou une boîte de fruits confits. Avec de l'argent aussi : 70 euros pour un massage, 130 pour "la totale". Une "totale" dont, seule à la tête d'un "petit commerce discret et tranquille", elle livre ici les secrets les plus intimes, décrit les rituels, expose les instruments et surtout portraiture les bénéficiaires comme si c'étaient des personnages de romans.

Après les témoignages de Jeanne Cordelier (La Dérobade) ou de Grisélidis Réal (Carnet de bal d'une courtisane), celui de Marie L. Barret frappe par la qualité sensible de son écriture (y compris dans les passages les plus crus), l'absence de toute morale et surtout son empathie - voire sa compassion - pour les hommes qui la désirent, la rêvent et dont, après leur mort, il lui arrive d'aller fleurir la tombe. Si elle regrette ici de devoir mentir à sa mère, à son compagnon, à ses enfants, parfois aussi à ses clients, elle ne triche ni avec ses lecteurs ni avec elle-même. (...) Avant de raconter ses chevauchées et autres galipettes, Marie L. Barret ne craint pas de se réclamer du grand socialiste Jean Jaurès : "Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c'est de choisir un métier et de bien le faire."

RMC, 26 mai 2016

Lahaie, l'amour et vous

 

Brigitte Lahaie recevait Marie L. Barret. À écouter ici, à partir de la 27e min.

Nice Matin, Var Matin, Monaco Matin, 25-26 janvier 2016

Moi, Marie L., mère au foyer dans l'arrière-pays et prostituée

par Philippe Dupuy

 

L'étonnant témoignage littéraire d'une travailleuse du sexe sans remords, ni com- plexes...
Le chemin est un peu plus court que celui qu'elle décrit joliment au début du bouquin, mais la maison basse, les rosiers, la fontaine et le banc sont bien là. ll y a aussi une table et, du jardin, on voit les collines de l'arrière-pays. Elle est « celle qui attend au bout du chemin ». Petit brin de femme, emmitouflée dans une écharpe en crochet. Certains, raconte-t-elle, arrivent à pied, préférant garer leur voiture plus bas, sans doute pour ne pas être vus entrant chez elle. D'autres, moins discrets, se font déposer en taxi. La plupart avancent leur véhicule jusqu'à la terrasse. « Inlassablement, je les reçois, écrit Marie. Et il faut faire ce qu 'il y a à faire, durablement, puisqu'ils viennent pour ça.

Ça (le sexe), il en est question à presque toutes les pages du livre. Marie ne cache absolument rien de ses pratiques, ou plutôt de celles pour lesquelles la paient ses clients. « Rien ne me rebute », avoue-t-elle, comme surprise elle-même de ce qu'elle est capable de faire pour répondre à leurs désirs, une fois le rideau de son salon rouge tiré. Elle décrit ses services avec une précision presque médicale (officiellement, Marie exerce le métier de masseuse) mais non sans humour. D'un client particulièrement remuant, elle peut écrire par exemple qu'il « fait du sept préservatifs de l'heure ». D'un autre, après «trois orgasmes obtenus, selon l'envie du moment, par fellation, rapport classique, sodomie ou masturbation », qu'il sort de chez elle détendu, avec une bonne fatigue et prêt à dévorer deux steaks »...

Son livre est une savoureuse galerie de portraits de ces hommes qui viennent la visiter. Certains avec une grande régularité, comme en témoignent ses carnets de rendez-vous, dans lesquels elle note d'une écriture appliquée les préférences et les caractéristiques physiques de chacun. « Pour mieux les recevoir la fois suivante. »

Jeunes, vieux, moches, maladroits, doux, brutaux, attentionnés, pressés ou romantiques, elle les aime tous à sa manière. Bienveillante, amusée, presque reconnaissante. « Parce qu'ils paient cher, ils m'offrent la possibilité d'être disponible autant pour eux que pour mon propre monde, ma vie ici, les enfants, le jardin, mes projets. » Elle fait très consciencieusement son métier de « travailleuse du sexe » et cela ne la gêne pas de dire plutôt « pute » ou « prostituée ». Le client en a pour son argent. « Quand ils re viennent, c'est mon orgueil qui est à la porte », écrit-elle encore.

De son ancien métier, qu'elle a délibérément choisi de ne pas reprendre après un congé maternité et une séparation, Marie a gardé le goût des mots, de la lecture (Le Clezio et Camus en particulier) et de l'écriture. « J'ai commencé à écrire ce livre comme une sorte de manuel pratique du message erotique, confie-t-elle. Mais j'ai vite trouvé ça ennuyeux et j'ai bifurqué vers les portraits. » Publié chez Plein Jour, le bouquin, très joliment tourné, s'intitule Éphémère, vénale et légère. Un titre qu'elle n'a pas choisi, mais qu'elle a fini par apprécier. Lequel de ces qualificatifs la représente le mieux ? « Vénale, répond-elle sans hésitation. Sinon, je ne ferais pas ce métier. En ville, j'aurais pu être escort. » Installée à la campagne, Marie pratique plutôt les « massages érotiques avec finition manuelle » (sic). La « prestation intégrale » est à la demande (et à la tête du client), facturée une centaine d'euros. (...) Personne n'a jamais su ce qui se passait derrière le rideau du salon. En dix ans d'exercice, Marie assure n'avoir jamais eu aucun problème avec un client. Encouragée par les premiers retours de lecture élogieux, elle songe toutefois à arrêter les « massages avec finition », pour se consacrer entièrement à l'écriture. Ses années de prostitution à domicile n'auront visiblement laissé sur elle aucun trauma. « Je devais être déjà un peu atteinte avant, conclut-elle en riant. Sinon, je n'aurais jamais osé me lancer là-dedans. »

France Culture, 6 novembre 2015

Le temps des libraires

 

Chronique d'Émilie Pautus, de la librairie La Manœuvre (Paris), à écouter ici.

Causeur, novembre 2015

Pute et pas soumise

par Paulina Dalmayer

 

Attention, cette autobiographie risque de défriser les contempteurs du "système prostitutionnel". Dans Éphémère, vénale et légère, Marie L. Barret raconte avec finesse sa vie, son travail, ses clients.

 

(...) Dans son activité professionnelle aussi bien que dans le récit qu'elle en fait, Marie L. Barret (s'agit-il de son vrai nom ?) se montre aussi scrupuleuse et appliquée qu'imperturbable. Non pas qu'elle soit indifférente ou dénuée d'humour. Au contraire. Quand elle dépose des fleurs sur la tombe d'un prénommé Falco, l'un de ses anciens clients, une note d'affection sincère perce derrière les mots. Un indice parmi d'autres de sa sensibilité savamment maîtrisée à l'égard des hommes qui recourent à ses services. Ainsi, quand elle évoque Toni, qui "fait bien du sept préservatifs à l'heure" tout en exigeant un fond sonore adapté à son tempérament - Carmen de Bizet ou les Carmina Burana de Carl Orff -, c'est plutôt sur le mode de l'humour grivois. Autant le dire d'emblée : Marie L. Barret, putain de son état, possède de nombreux talents dont ceux de savoir bien raconter, de faire rire, d'analyser intelligemment son environnement et de fignoler des portraits incomparables.

Dépourvue de toute prétention, elle-même préfère parler de sa "compétence" : "J'ai un bon fonds de commerce. C'est une activité simple, rentable et plus calme que mon emploi précédent. J'aurais pu me reconvertir autrement, je ne l'ai pas fait, par paresse ou facilité sans doute, mais aussi parce que j'ai exploité une compétence. La compétence de la pute ? Oui, quelque chose du moins qui permet de garder une constance, un détachement affectueux, une disponibilité dosée, une faculté d'adaptation, en plus d'un bon cul et d'une capacité à tailler des pipes." Il est vrai qu'avec ses diplômes universitaires, la connaissance de langues étrangères, une formation professionnelle en massage, Marie la Putain affiche le profil idéal d'une candidate prédestinée à réussir brillamment un "parcours de sortie de la prostitution" recommandé par les féministes paternalistes et par l'actuel gouvernement. (...)

"Je suis à chaque fois à ma place. Autant dans mon poing fermé dans l'anus d'un client que dans ma main refermée sur celle de mon petit dernier pour traverser la rue, autant dans mes doigts autour d'un sexe dressé qu'autour de la cuillère en bois qui tourne le mélange de légumes et d'herbes en train de mijoter. Cette réalité existe, je l'accompagne, elle me fait vivre." Victime des proxénètes ? Des réseaux mafieux ? Des hommes ? Eh bien non. Victime in abstracto peut-être, dans la mesure où on s'obstine ici et là à envisager chaque rapport sexuel rémunéré comme une violence.

(...) Avant de décider arbitrairement de sanctionner "l'achat d'acte sexuel" et de mettre en place des "stages de sensibilisation" susceptibles d'inculquer la bonne sexualité aux clients des prostituées, les députés feraient mieux de se pencher sur le répertoire de Marie la Putain. Elle y consigne les dates de ses rendez-vous mais aussi les lubies érotiques de ses visiteurs. Gilles, le fétichiste, affectionne les bodies noirs et le strass ; Pierre, l'esthète, aime causer peinture en s'abandonnant aux caresses ; maladroit, Paulin, éleveur de volailles, se montre toujours de bonne humeur ; Lucien, joyeux coquin de 85 ans, ne rêve que de passer toute la nuit aux côtés de Marie, sa dernière nuit avec une femme. Porterait-on un coup fatal au proxénétisme et à la traite des être humains en verbalisant Lucien ? Notre société deviendrait-elle moins violente et injuste si on sanctionnait la prédilection d'Antonin pour la sodomie ?

Bien sûr, putain, ce n'est pas un métier comme un autre et Marie le sait. "Je ne peux pas ne pas écrire sur la difficulté - entière, récurrente, obsédante par moments - que j'ai à vivre de cette activité, et en même temps la certitude obscène et inébranlable d'être à ma place dans les bras de ces hommes-là", confie-t-elle. En l'occurrence, ce ne sont pas ses clients ni la nature de son travail qui l'exposent à la précarité. Ce qui la menace, c'est le non-statut professionnel auquel la condamne l'approche moralisatrice et hypocrite du législateur. Or le projet de loi n'entend pas s'attaquer à l'exploitation et à la vulnérabilité économique des prostituées - pas de syndicats, pas de retraite, pas de protection sociale, pas d'accès au logement. Quand, en août dernier, Amnesty International, après un vif débat interne, a décidé de publier un texte demandant aux États de ne plus criminaliser le travail du sexe, les Femen, Osez le féminisme et L'Amicale du Nid n'ont pas tardé à jeter leur sainte opprobre sur l'ONG. Depuis lors, la lutte contre le "système prostitutionnel", qui englobe dans l'optique totalitaire de certaines féministes tout rapport sexuel "acheté", qu'il soit consenti ou non, va bon train sans se soucier du réel. Certes, contraintes à la clandestinité, donc entièrement à la merci des clients, les prostituées colleraient mieux à l'image de victimes que des femmes hautement émancipées essaient de leur renvoyer. À cinquante ans, Marie ne demande pas à être sauvée. "J'ai les mêmes clients depuis si longtemps : je vais vieillir avec eux. Nous fermerons le théâtre ensemble."

Littérature du réel, enquêtes, essais, histoire.

Liens amis

Version imprimable | Plan du site
© Éditions Plein Jour